Ma photo
Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

lundi 28 décembre 2009

Ecrire





Des mots qui comme vagues en hiver
Aux bords de la page se cabrent, se poussent,
S’affrontent et s’entrechoquent,


Ecrire afin de ne pas hurler
Quand au dehors
Le monde est à l’envers,


Ecrire
Quand les voyelles s’emmêlent,
Telles les vagues s’effleurent
S’observent et puis s’enchaînent,
Perdent leur route
Rebondissent dans un souffle,
S’épuisent et se caressent
Et sur la feuille s’apaisent.

Petit ourlet blanc et soyeux
Du sable, elles se retirent
Laissant trace de leurs soupirs,
Grains fins savoureux, mélodieux,

Les mots te disent enfin
Comme il est doux
De jongler avec les humeur du Temps,

Ecrire
Pour étendre mes doigts
Au bord de l’autre rive

Ecrire
Afin de retenir l’instant
Sur le sable de la page
Plus belle que les restes de l’Erika


Ecrire encore
Afin de prolonger le jour
Apprivoiser la nuit

Ecrire tout ce qui se murmure
Les images, les cris, les larmes et les soupirs,

Ecrire
Comme les vagues reviennent
Sans cesse se renouvèlent.

dimanche 20 décembre 2009

Le Temps

Photos - VD - 2009


Le temps est un mouvement que nous avons tenté de maîtriser, nous, animaux à deux pattes depuis des millénaires. Nous avons bien cherché à le fixer sur de magnifiques sculptures de pierre ou de métal appelées cadrans solaires. Nous l’avons enfermé, croyons nous, derrière d’autres aiguilles, cachées à l’abri de verres épais, au mouvement animé par un battant quand il s’agit d’horloges ou de roues circulaires à l’image de la terre et ce furent des montres. A l’heure du numérique nous avons renouvelé l’essai une fois encore derrière des images digitales. Et aujourd’hui l’homme tente toujours de jouer à l’apprenti sorcier en l’avançant ou en le reculant au défi des saisons.

Le temps est libre. Il n’en fait qu’à sa tête et n’est jamais le même.

Le temps est le reflet du cœur.

Parfois il s’étire en longueur, les gestes quotidiens occupant l’espace laissant parfois un goût amer où la poésie n’a plus toujours sa place. Mais le temps est espiègle comme l’enfant c’est un joueur et quand l’heure de retrouvailles se rapproche encore, le cœur pétille enfin au dedans telle une boisson gazeuse ou une éclaboussure de rosée au bord de la rive à l’heure la plus chaude du solstice d’été, un délice.
En ta présence enfin il s’arrête pour deux et se pare de ses plus beaux secrets. Mais le temps nous joue encore un tour et quand se réveille l’approche du départ il court et court encore plus vite que le guépard.

Quand la tristesse nous envahit il semble ne jamais nous lâcher. Il pèse lourd et grignote chaque pensée.
Mais il est généreux le temps quand face à l’horizon au pied d’un océan il nous berce sur le rythme des vagues et n’est jamais le même ce sont les couleurs puis la nuit même qui nous parle alors de lui.

lundi 12 octobre 2009

La danse des mots


Tous ces mots qui virevoltent
Dans la lumière de l'automne
Tels les volants fous d'une robe d'enfant
Tentent de prolonger cette étreinte
En jonglant avec les frontières du temps

Il pourrait-être sage
De mieux savoir les retenir
Les laisser reposer
Dans la boite à secret
Jusqu'à la prochaine lune
Et laisser ainsi s'exprimer les songes
Dans le souffle du vent.

jeudi 17 septembre 2009

Mon aimé.



Tu soulèves les poussières de l’oubli avec délicatesse. Hier encore il faisait tiède au dehors mais les saisons s’effeuillent plus vite que ta mémoire. Tu fais le trajet des voyages de ton père à la lecture des pages et des images qui glissent entre tes doigts.

Je m’approche de toi doucement et me penche avec tendresse vers tes épaules arrondies. Assis devant ces pages tu ressembles un peu à ces rochers lisses et tranquilles érodés par le passage des vents au cœur de l'océan. Mes doigts et la paume de ma main se faufilent entre ton cou et l’encolure de ton t-shirt. Je te caresse la nuque avant d’y laisser un baiser. Tu bouges à peine. Tu aimes que ce temps dure hésitant retenu encore un peu par la concentration de ta lecture. Tu n’aimes pas trop laisser ce que tu fais. Ton dos est malveillant mais tu veilles sur cette mémoire. Être encore avec lui prolonge ce temps douloureusement interrompu. Tu me caches encore un peu tes yeux. Tu n'aimes pas me montrer ta tristesse. Je la sens au milieu de tes mots, je la lis sur la courbe de ton dos.

Viens mon aimé. Prends ma main. Allons marcher. Ne laisse pas les saisons s’enfuir. J’aime la douceur de ta peau au creux des draps mais j’aime plus encore ta présence ton odeur et le bruit de tes pas. Ne laisse pas le temps nous meurtrir. Viens. Regarde au dehors, le ciel s’est éclairci. Allons écouter le vent. Je sais que ton corps est endolori mais marcher auprès de l’aimée peut être un bon remède. Je ne t’enlève pas à ces pages jaunies tu les reprendras à la tombée de la nuit. Viens, allons sentir les feuilles encore humides murmurer sous nos pas et regarder la chute des gouttes d’eau qui caressent les branches en glissant vers le sol. Je sais les vagues sont un peu loin mais tu me conteras les marées. Je te décrirai les coquillages que j’ai ramassés et nous regarderons les nuages s‘éloigner. Tu m’apprendras le nom de ces oiseaux dont je t’ai parlé. Laisse le goût de mes doigts parfumer la paume de ta main. Raconte-moi ces pages que tu lis. Parle-moi de lui et tu verras ainsi combien ce temps d'avant ne s'est jamais arrêté. Au retour ton dos sera plus doux. Nous boirons un thé chaud ou un café auprès du feu et mes lèvres seront sucrées.

lundi 14 septembre 2009

Proies ou Rapaces





Malgré moi surgit cette appréhension quand je dois aller dans un lieu où il y aura du monde, dans un lieu que je ne connais pas encore.

Un brouhaha ronronne sans cesse évoquant le bruit doux d’un moteur à l’arrêt dès les premiers pas glissés au sommet des quelques marches avant d’atteindre l’une des arches de pierre sertie de métal.
Les couleurs sont chatoyantes et vives. Les odeurs de sels et d’embruns dominent celles sucrées et parfois suaves des fleurs et des fruits aux abords de l’étale à poissons. Je me souviens du rose des rougets posés là alignés à deux doigts de la gueule ouverte du requin habillée de petites dents ressemblant à des épines de pins blanchis par la neige. Les araignées cachées dans leurs pattes velues sont encore mouvantes et je reste à distance heureuse d‘avoir le bout du nez à peine à hauteur de la glace pilée qui sert d‘oreiller à des algues brunes dont j‘aimerais pouvoir faire exploser les rondeurs entre le pouce et mon index. Je regarde furtivement le vendeur esquissant déjà mon geste mais il m’impressionne avec sa voix brûlante et son tablier gris-bleuté quand il interpelle les passants tentant de les faire s’arrêter. Les crabes montrent encore des yeux luisants sous leurs carapaces rougies par la cuissons.
Un homme vêtu sur la tête d’un étrange bonnet d’âne, couronne blanche qui ressemble à une brioche de sucre glace à l’envers s’approche de moi. Je crois un instant qu’il vient me gronder cernant mes intentions de sculpter les algues du bout des doigts. Je sursaute un peu prête à m’enfuir mais il me parle doucement puis me prend dans ses bras pour me poser, dressée, sur le grand tabouret derrière son comptoir. Enfin une belle hauteur ! On devrait proposer à tous les enfants de s’installer ainsi sur de grands tabourets afin qu’ils puissent profiter du paysage sans risquer de se faire cogner pousser écraser sous le poids des paniers et des sacs des grandes personnes.
Je perçois les regards et les sourires des clientes qui ont un mot à mon propos me prenant pour sa fille. J’ai trois ans pas très haute mais bien suffisamment grande pour savoir que mon père n‘a rien à voir avec cet homme là. Surtout avec cette couronne ! Il a bien jouer les corbeaux il y a peu accroupi sur la table de la cuisine pour me conter la fable avec le renard mais sûr qu’il n’a rien à voir avec celui là. L'homme au chapeau blanc les reprend d’ailleurs se défendant lui-même d’être mon père. Il explique encore et encore comment il m’a remarquée seule devant l’étale du poissonnier. Son étale se trouve juste de l’autre côté de l’allée. Et les regards de ces femmes changent me rappelant ainsi sans cesse que je ne devrais pas me trouver là.
Je me souviens m’être figée apeurée quand il est venue vers moi. Ce sont ces mots et ses questions qui m’ont fait prendre conscience que quelque chose n’allait pas. Les larmes rafraîchissent mes joues et l’odeur de farine monte vers mes narines en même temps que la nausée.
C’est-on délibérément débarrassé de moi ? Je l’ai longtemps cru.
Les grands bras de celle qui m’avait emmenée ce matin là m’ont enfin agrippée puis malmenée et poussée en hurlant jusqu’au siège arrière de la voiture. Les marchands avaient depuis longtemps rangé leurs cageots vides à l’arrière de leur camion et les touristes avaient déserté les lieux pour déguster leur déjeuner.


Heureusement le temps est passé et laisse glisser sur moi des douceurs et des mots tièdes et rassurants qui ont fait largement oublier les larmes de mes trois ans.

Ce soir, je descends les hautes marches de pierre pleine d’envie. La peau picote déjà quand mon cœur palpite un peu plus fort à l’idée de découvrir les images et les sons tant attendus même si c’est encore l’inconnu. Je sais à la différence de l’enfance que je ne serai pas déçue.
Le ciel est de mon côté il fait tiède encore et la nuit étoilée sera belle.
Soudain se dressent face à moi d’incroyables falaises de pierres blanches qui plongent leurs pieds dans une vaste étendue d’eau. Le site est imposant majestueux. Je ne le connaissais pas et j’aime tout ce que découvre mon regard. Les oiseaux s’interpellent d’une falaise à l’autre, d’un rocher à l’autre, d’un arbre à l’autre attendant d’être rejoints puis remplacés par la caresse douce ou plus vive des saxophones. Sur les flancs du mur de pierre rebondissent pour l’instant quelques rires d’enfants qui doivent jouer plus loin sur le coteau traversé avant d’arriver. Quelques tables sont encore disponibles au bord de l’eau. Je m’installe tranquillement sur un banc face à la falaise quand dans l’eau s’agitent tranquillement d’immenses poissons.

Assise sur ce banc je regarde et écoute ceux qui m’entourent. J’aime ce temps où en silence je découvre le monde en scène. Je suis tes pas et tes yeux et découvre ainsi après toi ce que secrètement tu as organisé depuis des mois.

Tu ne peux pas être là ce soir aussi j'ai préféré venir seule. J’aurais détesté devoir entrer dans des pour-parler qui ne me conviendraient pas. Cette soirée est pour moi. Je peux laisser aller mes sensations mes humeurs m’imprégner de chacun des reflets qui varient avec la lumière du soir. J’aime ce temps avant l’entrée en scène d’un spectacle. Les humeurs dans la salle sont faîtes d’excitation et de repli comme à l’intérieur d’une bibliothèque. Les sons passent du feutré à un souffle décalé qui fait que tout reste un instant suspendu.

Soudain le banc craque à mes côtés. Quelqu’un vient sans doute de s’asseoir. Je n’ai aucune envie de sortir de ma rêverie. Je regarde les gens descendre l’escalier je regarde la nuit s'étendre peu à peu. Le ciel change. J’écoute un peu les gens venus à plusieurs je lève les yeux sur l’autre rive cherchant à percevoir le mouvement des oiseaux dans la pierre et les arbres. J’attends sans attendre c’est à dire sans impatience les premiers souffles du saxophone. Je me demande d’où vont naître les première notes.

Je me tourne vers le rideau de scène. Ouvert, il flotte un peu dans la brise tiède.
C’est un voisin qui vient de prendre place.
« Vous avez l’heure ? » me dit-il satisfait, je le sens, de croiser mon regard. La phrase est tellement d’un autre monde, décalée en ces lieux. J’ai envie de rire. Je me souviens les désastreux plans drague aux carrefours à Paris quand j’étais plus jeune. A l’époque je tournais la tête ou parfois lasse je répondais sèchement « lève le nez dans Paris il y a une horloge à chaque coin de rue et sinon il suffit de te pencher à l’intérieur des voitures. » A l’époque les tableaux de bord possédaient une horloge et non des chiffres fluorescents comme aujourd’hui qui ne s’allument que quand le conducteur met le contact.
Mais je ne suis plus à l’âge où l’on riposte. Dans ma tête les mots fusent à grande vitesse : « Espèce de naze tu t’es trompé de chemin ici y’a pas de train. Qu’est ce que tu viens faire dans ce lieu c’est quoi tu cherches une proie ! Je suis là tranquille et seule donc t’es chasseur je suis une proie ? Une femme seule dans ton monde c’est forcément une proie ! La chasse c’est le mois prochain tu vois même qu’aujourd’hui, à l’heure où j’écris, je sais parce que j’ai lu les mots de mon aimé et que vraiment tu lui arrives pas à la cheville, même pas t’essayes, et que j’ai traversé la campagne ce week-end aussi je sais que c’est le 12 et 13 septembre alors pour les proies va falloir attendre. » Mais non je reste froide mais je lui donne l’heure et retourne dans mes pensées. Secrètement j’aimerais vraiment que tu puises être là, mon aimé ; Tu arriverais doucement dans mon dos, tu regarderais le type de ton regard noir parce que toi tu l’aurais flairé c’est sûr, t’aimes pas les chasseurs toi non plus alors tu m’aurais glissé un baiser tendre dans le coup histoire de le pousser très loin au delà de cet espace.
Mais le naze pige pas il relance il fait plein de bruit dans ce délicieux espace, il me lance « Vous venez souvent ici ? » Très très froide je le regarde du plus loin et du plus haut possible moi qui me sens très petite dans ce genre de plan ! J’ai envie de vomir quand je me sens trop petite. Bon sens j’ai besoin de toi mon aimé, là je suis plus très sûre de m'en sortir ce type insiste et ça va vraiment pas le faire ! Je pense à toi très fort je réponds très vite et très sèche : « La première fois avant hier ! » Je suis en pétard au dedans j’avais pas envie de ce genre de plan pas du tout, surtout pas maintenant, même pas envie de rire de ce genre de bêtise. J’ai envie d’être tranquille et je pense " T’as rien compris t’as rien à faire là et tu vas me laisser maintenant parce que je suis pas sûre de savoir être calme très longtemps. Toi ça a pas l’air mais moi je suis venue invitée à partager la poésie de cet espace et me mettre de la musique et des images plein la tête et les chasseurs ça peut pas faire partie de ce monde là."

Je me suis de nouveau réfugiée tout près de toi mon amour, tu glissais tes doigts dans mon cou et la lune s’est un peu posée sans doute parce que je n’ai plus vu que des reflets et des images et les sons des saxos se sont levés et quand j’ai baissé les yeux sur les vagues et les pierres sur l’autre rive je n’avais plus de voisin chasseur et le monde était doux et la nuit était bleue.

vendredi 31 juillet 2009

L'Ephémère

Tu te reposais un peu à l'écart,
J'ai immortalisé cet instant
Juste pour toi.

dimanche 12 avril 2009

Sur les Quais

La terre a tremblé cette semaine. C’était en Europe à notre porte ; là où les villes sont encore chargées d’histoire, celle qui se lit dans les pierres, les vraies, les belles, les taillées, les solides. Les maisons sont tombées parce que depuis dix ans les investisseurs sont rois et pensent d’abord à leur compte bancaire et non plus à protéger nos vies sous des immeubles qui seraient bien construits. Les constructeurs eux font vite et à tarif réduit. Notre société a inventé les soldes jusque dans les immeubles qui longent cette vallée à fort risque sismique. Les murs sont faits de torchis et de poussière et les châteaux de carte se sont effondrés. Trois cents morts, comme si il était possible de les compter ; là aussi ce sont des statistiques, en 2009 les statistiques sont la feuille de route de notre quotidien !

Eux avaient trouver une petite maison de l’autre côté de la baie, là où les vents se mêlent et les couchants sont orangés à l’infini. Là où les horizons sont d’une blancheur extrême, là où la crête des vagues se fend d’un gris bleu qui scintille comme des étoiles d’argent. Ce pourrait être l’île de Chausey ou une autre le long de la côte. Entourée de pierres noires, les petits îlots de récifs la rendent difficile d’accès même aux voiliers. Il faut connaître la côte pour ne pas fendre la cale des bateaux. La route précise pour y accéder ne vous sera pas donnée, ils veulent garder le secret de l’endroit où ils se retrouvent et se reposent. Leurs amis, leurs relations professionnelles ne les rencontrent que sur le continent, de l’autre côté. Là c’est un endroit rien que pour eux. Chacun y a déposé ses secrets. Lui dans les sculptures faîtes dans la ferraille le bois le sable tout ce qu’il récupère au cours de leurs promenades faîtes avant l'aube parfois ou au moment où la nuit rejoint le jour : morceaux de vélo de mobylette bouts de tracteur tuyaux de métal. Il peint aussi. Eux deux écrivent et déchirent collent des bouts de papier. Ancienne publicités, photos dans les revues récupérées elles-aussi sont transformées au grès de leurs humeurs quand l‘autre est au loin.
Ils se retrouve là dès qu’il n’a pas d’engagement au dehors. Lui, est souvent parti sur des missions aux quatre coins des mers. Là où se heurte la misère. Il porte secours aux enfants et aux adolescents blessés par les traumatismes et les cauchemars que la vie inflige parfois. Elle, a un bureau où elle écoute la parole elle aide à remettre des mots sur les histoires les souffrances et les non-dits qui abîment et creusent des blessures qui brûlent au dedans.
Elle peut rentrer chaque week-end et chaque fois que le bureau n’a pas besoin de son oreille. Elle l’attend souvent ne sachant pas toujours quand il sera de retour. C’est douloureux pour elle parfois elle a besoin de lui mais elle ne lui en veut pas c’est ainsi. Bien sûr elle déteste que la vie l’empêche de se détendre et de la retrouver. A ses côtés il se repose et peut griffonner coller construire à son grès au rythme de l’océan qui bat les rochers au pied de la maison et berce leur rythme de promenade. Mais elle sait aussi combien aider autour de lui fait parti de lui. Elle le sait depuis toujours. Elle râle bien un peu parfois quand elle se sent oubliée mais c’est une sensation du fond du ventre qui ne se contrôle pas. Elle sait bien qu’il est tout près pas très loin d’elle. Quand il peut la joindre il a toujours un mot doux une tendresse une attention et si parfois les choses sont difficiles pour elle il a le mot le geste qui l’apaise. C’est ainsi entre eux depuis toujours.
Ils sont le plus souvent seuls, la plupart des habitants alentour ne viennent que le temps d’un été. Seuls quelques autochtones prennent avec elle le seul bateau qui fait la navette le vendredi soir. Ils chargent alors le bateau avec quelques sacs de farine des aliments complémentaires pour les chevaux et les autres animaux et les courses que chacun s’est fait livrer sur les quais. Presque tous repartent en début de semaine suivante.

Elle l’a attendu ce soir sans grand espoir ayant entendu l’annonce de la catastrophe des montagnes de l’autre côté de la frontière sur les ondes de la radio. Il avait bien dit qu’il devrait-être là. Les trains avaient cette fois de bonnes correspondances avec les horaires du bateau. Elle s’était bien emmitouflée et posée dans le café juste au bord de la jetée. Ils se retrouvent là chaque fois sur la banquette qui leur est comme réservée dans le fond de la salle près de la fenêtre le feu réchauffant un peu les genoux de ses braises incandescentes. L’odeur du bois est douce elle laisse un goût de miel sur le palais. Le craquement des bûches répond au ressac des vagues sur les rochers au dehors à marée haute. Une des fenêtres reste toujours entrebâillée comme pour garder la mesure des chocs creux sur les pierre noires.

Elle savait bien que l’attente était inutile mais elle aimait bien cet endroit sans lui aussi. Elle peut penser à lui. Elle laisse son regard se poser d'un visage à l'autre et se laisse bercer un peu par leur voix dans ce café. Ce sont des habitués les tonalités sont chaudes et leur regard sur elle est chaleureux et reste discret. Comme elle, ils attendent la dernière navette. Elle vagabonde secrètement et retrouve sur sa peau un peu le goût de ses dernières caresses. La dernière fois au téléphone, sa voix était douce et rassurante il était pressé mais elle y est habituée il prenait tout de même un peu de temps avec elle alors que d’autres l’attendaient. Elle voulait lui dire que le réparateur de piano était revenu. C’était beau comment il avait travailler glissant un ruban rouge entre les cordes avant de les équilibrer. Elle avait imaginer combien il aurait aimé prendre une photo. Elle même n'a pas osé. L'accordeur avait oublié la dernière corde et devrait revenir. Du coup quand lui serait là le piano pourrait de nouveau sortir les notes justes sous ses doigts. Elle aimait l’écouter toucher les notes d’ivoire. Elle le regarde et se laisse porter. Elle glisse parfois contre son dos il aime ça. Ils ont plein de gestes silencieux ils sont bien comme ça l’un contre l’autre l’un avec l’autre. Elle a envie de poser sa joue contre son torse. Il ne faut pas oublier la navette. Elle donnera la nourriture aux chevaux. Elle l'a promis au voisin. Il est parti pour quelques semaines.

Elle est allée marcher. Elle aime marcher avec lui. Il lui raconte les arbres et les pierres, les nids des animaux aussi. Il parle si bien des habitants. Il montre les lumières, le déclencheur parfois à la main. Elle aime regarder à travers ses yeux à lui. Elle aime leurs silences aussi. Elle a retrouver le sentier où il l'a emmenée la première nuit de leur rencontre. C'était à cette saison, c'était il y a longtemps. C'est doux de se souvenir. Elle y retourne parfois quand il n’est pas là. Elle aime bien le ressac des vagues à cet endroit et aux Printemps les fleurs des arbres ont une odeur de sucre.

Il rentrera bientôt peut-être avec la navette de la semaine prochaine. C’est bien il fera plus chaud. Le soir le vent sera tiède. Sans lui elle a toujours froid. Il rit parfois de ses mains fraîches qu'elle glisse doucement sous sa chemise dans le creux de son dos. Il doit être fatigué. Il dit qu’elle s’inquiète toujours un peu trop pour lui « pas un oiseau tombé du nid » mais il prend soin d’elle, des autres. Qui prend soin de lui ? Elle prend soin de lui.

La nuit tombe elle va fermer les volets. Elle aime à cette heure poser un regard long et silencieux sur le ciel avoir une pensée pour lui. La baie en face est toute illuminée. Elle pense à lui toujours mais là quand elle ferme les volets elle sait qu’il aimerait être avec elle entendre les vagues qui disent tant de mots dans le ventre et au creux doux des oreilles.

Il lui a écrit plein de mots avant de partir. Elle les a trouvés sous la porte en entrant. Elle rajoutera une couverture sur le lit et va se glisser sous les draps pour le lire. Elle sera un peu avec lui. Elle a du mal à s'endormir quand il est loin.

dimanche 5 avril 2009

Une Couronne de Roses Rouges

Elle était belle disait-on d’elle.
Je l’ai connue trop peu. Dans mon souvenir elle était douce et se fichait des conventions et des mondanités de cette petite ville dans laquelle elle avait fini par élire son domicile.
Son histoire nous était contée de multiples façons comme si elle s‘était promenée dans La dame de Shangaï ( Orson Welles - Film - 1948 ) au milieu de ce couloir de miroirs et que chacun avait choisi un de ses reflets pour lui-même et la définissait comme tel.
Les autres parlent trop souvent de vous comme ils veulent vous voir et pas toujours tel que vous êtes dans vos limbes les plus secrètes. Ils vous réduisent le plus fréquemment à une image, une seule. Celle-ci sera-t’elle la lecture d’un évènement de votre vie ou bien liée à la leur et vous êtes aussitôt rangés dans un tiroir qu’ils ferment à clé pour toujours, jetant la clé dans le fleuve qui les guide afin de ne plus y revenir. Figé ainsi vous risquez de l’être à jamais !
Si la vie dépose sur votre chemin un être qui vous regarde et vous écoute pour ce que vous êtes et que sa seule présence vous amène à vous ouvrir et à lui dévoiler la part la plus secrète et la plus belle de vous-même, sachez sentir combien vous en avez besoin et admirez le monde à travers son regard. Tout est alors plus beau. Vous avez trouvé l’être auprès de qui vous pouvez déposer toute votre confiance jusqu’au bout de la terre, au delà de vos jours en souhaitant qu’ils soient encore infiniment nombreux. Protégez bien cette part de vous-même. Sans elle, rien n'a plus la même saveur.
Mais restons auprès d’elle encore un peu. Elle avait quelque chose d’indéfinissable que d’autres membres de ma famille ne connaissaient pas et qui m’attirait toujours vers elle. Elle ne cherchait pas à paraître pour le monde extérieur même si elle avait été souvent remarquée et pas seulement pour sa beauté. Elle avait été Résistante au cours de la dernière guerre. Son mari aussi et bien d’autres avec eux. On parlait d’elle dans un énorme livre à ce propos ( en réalité deux énormes livres puisqu’il y avait deux tomes ). Mon père me l’avait donné à lire alors que j’étais à peine entrée dans ce qu’il appelait l’âge de raison. Le livre avait un nom magique dans mon esprit d’enfant « Les terroristes ». Était-ce dû à la religiosité, la fierté avec laquelle mon père me l’avait confié ? Le mettre ainsi entre mes mains, je le sentais, c’était me permettre de faire partie enfin de la liste des grandes ce qui signifiait regain de confiance, chose assez rare dans l’esprit de mon père et des adultes qui m’entouraient ! Malheureusement l’exemplaire n’est plus en ma possession, aléa des différents partages familiaux. A t’il seulement été rangé avec respect sur l‘étagère d‘un salon, j’ai bien peur que non !
J’ai vu cette femme longue et fine pleurer lors d’une cérémonie animée en son honneur et celui de son mari qui était décédé avant ma naissance, pour ce qu'ils avaient accompli. Je l’ai vue assise toute petite, elle si haute au regard de mes jambes d’enfant, repliée sur elle-même et pleurer en silence sur les marches de pierre au bord du tombeau. Et je n’ai pas compris.
Dans mon esprit de petite fille je sentais bien que tous ces drapeaux et ces médailles accrochées à la veste de tous ces hommes montraient leur respect à son égard, d’autant plus qu’elle était la seule femme au milieu d’eux. J’imaginais qu’elle aurait dû être grande et droite. Moi je savais combien j’étais fière des bon-points qui m’étaient attribués par ma maîtresse d’alors dans ma petite école au beau figuier dans la cour immense. Alors je ne comprenais pas comment cette grande dame que j’aimais tant pouvait verser des larmes. De plus, c’était la première fois que je voyais un adulte pleurer. Je n’ai pas compris qu’elle pleure cet homme à qui on l’avait mariée contre son gré m’avait-on dit et dont elle avait choisi de se séparer quelques années après la guerre.
Elle vivait seule et en ces temps là c’était chose rare et mal venu. Elle s’était tout d’abord installée dans une des extrémités de la maison familiale - séparée de corps - disait-on alors, puis avait préféré s’isoler dans la petite ville où je la retrouvais accompagnée de ma sœur.
Je me souviens combien elle aimait les roses et s’occupait de celles-ci chaque jour. Les roses grimpaient le long d’une allée de piliers de pierres blanches qui se rejoignaient au dessus de votre tête et laissaient exhaler un parfum sucré autour de leurs pétales colorés telles de multiples ailes de papillons prêts à s’envoler vers les nuages.
Travailler la terre enlever les fleurs et les pétales fanés du bout des doigts lui permettait peut-être à elle aussi de faire taire les pensées qui s’animent en boucle parfois dans la tête avec cette petite voix qui fait des nœuds si fort qu’ils tirent le creux du ventre jusqu’à vomir. Elle mangeait peu, deux, trois petits pois disait mon père avec le cynisme dont il savait parfois faire preuve.
Quand le seul être dont j'ai besoin ne peut-être plus près et que tout semble au bord de s'effondrer je cours chercher des fleurs à planter afin de faire taire la petite voix qui fait tant de noeuds que les mots ne trouvent plus leur place. Est-ce le retour aux origines familiales mes ancêtres regardaient le ciel et semaient, plantaient sur des pans de cette terre qui un jour nous rappelle.
Dans un autre côté de ce délicieux jardin se trouvaient deux bassins qui se répondaient sous la terre et abritaient nénuphars et têtards que j’adorais suivre depuis le bord découvrant alors d‘énormes poissons rouges ou noirs.
Je me souviens aussi de cette voiture noire toujours luisante et sans trace garée devant sa maison donnant sur le parc de la ville. C’était une traction qui semblait directement sortie des films de Martin Scorsese ou Francis Ford Coppola que je découvrirai plus tard. Elle changea un jour la traction pour une 2 CV rouge afin de pouvoir mieux circuler au bord de l’océan où elle nous fit découvrir de petites criques qui me semblaient connues d’elle seule.

Son regard était lointain toujours, comme si elle s’accrochait à quelques nuages à l’image de ses roses, comme partie ailleurs, là où elle avait enfoui des milliers de secrets.
Elle s’était cassé l’auriculaire et vivait donc ce petit doigt en l’air, mais ce n’était pas par coquetterie mondaine. Sa coquetterie à elle était de l‘avoir serti d’un semainier, sept anneaux d’or attachés ensemble. Elle s’était cassé ce petit doigt au cours d’une chute de cheval. Elle avait été une grande cavalière disait-on d’elle et faisait de grandes ballades jusqu’au village et à travers champs quand elle était plus jeune et que je n’étais pas encore née. Elle avait voulu m’offrir un poney mais mes parents refusèrent sous prétexte que je ne saurais pas prendre soin de lui. J'ai pensé un peu à elle en choisissant moi-même mon propre cheval il y a quelques mois. Il m’est difficile d’imaginer monter aussi bien qu’elle, même si j’ai sans doute quelques aptitudes peut-être trop tardives. Quand l’un et l’autre marchons au même pas, la danse est légère.
Elle avait au premier étage de sa maison qui devenait ma chambre quand je dormais chez elle de belles poupées de porcelaine auxquelles je racontais mes propres secrets et avec lesquelles je m’inventais ma vie de demain.

Je me souviens de cette coupelle de biscuits qu’elle remplissait avant mon arrivée et dans laquelle j’avais l’autorisation de plonger ma petite main autant que je le souhaitais. C’est ainsi qu’auprès d’elle je n’en ai jamais abusé, sa tendresse et ses attentions me comblaient de bien meilleure façon.

Elle est tombée gravement malade ne faisant pas suffisamment attention à ces petites douleurs qu’elle avait parfois du mal à cacher le dernier été où elle avait pu me garder. Elle avait préféré m’emmener une fois encore lire le secret des vagues au bord de l’océan à l’heure où les autres faisaient la sieste où dévoraient d’énormes parts de gâteaux. Et puis elle n’a plus pu se déplacer et elle s’est endormie telle la belle au bois dormant alors que je ne lui avais sans doute pas assez dit combien elle comptait.
J’ai pu seulement lui déposer un dernier baiser. Ce jour là je me suis dirigée ver la roseraie pensant lui parler un peu. Je croyais m’y trouver seule c’est alors que j’ai aperçu mon père qui pleurait. Assis sur le banc de pierre aux pieds des roses il leva vers moi un visage triste et doux puis détourna son regard au delà du mur du jardin je n’ai pas su comment m’approcher.

Je n’ai pas eu droit de l’accompagner au bord du tombeau, trop jeune m’a t’on dit. A leur retour, j’entendais les adultes faire des commentaires sur la cérémonie. Certains parlaient fort comme en colère, d’autres paraissaient étonnés. Prêtant davantage l’oreille à leurs conversations, j’appris que ma grand-mère si douce avec moi avait été aimée au delà de ses jours. Cela choquait sans doute davantage celles qui n’avaient pas connu un amour aussi grand et lui enviaient sa beauté et les honneurs qu’elle avait reçus. On a dit alors d’elle des choses qui l’auraient sans doute blessée un peu mais l’aurait fait sourire aussi. On a dit de jolies choses aussi qui ont fait grandir son mystère à mon oreille d’enfant. Je me souvins que quand elle me gardait elle écrivait beaucoup et recevait des lettres plus épaisses qu’elle préférait lire plus tard dans la soirée quand je serai couchée. Je le comprenais parce qu’elle les mettait alors de côté au bord de son secrétaire et le lendemain elles ne s’y trouvaient plus.
Il avait eu envie de crier au monde combien il l’aimait au delà de son dernier jour au delà du bout de la terre et avait fait envoyer une énorme couronne de roses rouges à la cérémonie funèbre. Elles avaient la couleurs de son désir. Le mien a le goût du sel à la crête des vagues. J'aime les roses blanches pour les embruns et orangées pour les levers du soleil qu'elles évoquent. Elles furent remarquées. Les témoins étaient choqués par l’audace de la couleur pour un enterrement. J’aurais bien aimé connaître cet homme qui connaissait si bien ma grand-mère. Je ne comprenais pas très bien pourquoi il ne vivait pas avec elle. Moi j'aimais tellement ma grand-mère que j'aurais voulu rester chez elle tous les jours. Pourtant, il l’avait tant aimée qu’il lui envoyait ce jour là encore ses roses préférées. Était-ce elle qui avait voulu garder leur relation secrète ? Était-ce lui ? par peur des représailles sociales. Avait-il pu l’embrasser lui aussi avant qu’elle ne s’endorme pour toujours ou était-il malade et dans l’incapacité de la retrouver ? Je pensais combien il devait être triste maintenant. Les connaissait-il ces témoins et était-ce pour cela qu’il avait préféré ne pas venir gardant pour lui pour toujours ce qu’ils avaient partagé ? Tous se demandaient qui il était et se sont longtemps encore interrogés. Mon père l’a-t’il découvert en rangeant ses affaires, il a gardé le secret.

C’est beau d’être aimé ainsi au delà de ses jours. Ma grand-mère m’a ainsi appris que c’était possible.
Les roses trémières le long du mur de sa maison ont continué de fleurir chaque été. J’ai souvent marcher tranquillement dans cette petite rue en sortant du collège puis du lycée avant de retrouver mes parents de l’autre côté de la ville. Je n’en ai rien dit.
Depuis ce temps là, j’ai déménagé de nombreuses fois, cela pourrait m’arriver encore, ce qui ne m'a pas empêchée de regarder en arrière. J’ai pu ainsi conserver en secret le plus doux et laisser enfin sans regret derrière moi certaines des mésaventures de mes années passées. Des roses trémières courront longtemps le long du mur de mon propre jardin.

samedi 28 mars 2009

Au Pied de la Dune

Elle a au fond des yeux
Des reflets de la plage
Il a dans les cheveux
De la poussière de sable
Sur la courbe des lèvres
Ils garderont secret
Le goût du sel
Et les images du ciel

dimanche 15 mars 2009

L'Équilibre


Le trouveront-ils un jour
Ce bel équilibre nuit-jour ?

Dis-leur toi
Que ce temps n'est pas seulement celui d'un jour
A l'heure du solstice.

Que ce n'est pas le seul privilège d'un instant
Comme à l'heure où le travail bien accompli
La cavalière oublie la douleur des muscles
Et le temps de l'effort
Et que dans le tracé
Seul compte le souffle et le rythme des corps.
Il devient impossible alors de sentir
Qui du cheval ou des doigts doux de la cavalière
Le premier entreprend la figure.

Dis-leur toi
Que tu ne comprends pas leur peur,
Que c’est ainsi que leur relation se tend
Et ressemble parfois
A la lutte des débuts entre le cheval et la cavalière
Quand le cheval doit céder
Et la cavalière être moins exigeante.

Mais que parce que c’est elle,
Elle cherche depuis longtemps,
Depuis ce temps de leur rencontre,
A suivre son rythme et lui montrer sa confiance

Et que parce que c'est lui
Il a toujours écouté son souffle et le rythme de sa voix,
Il a toujours su l'entendre, a toujours été là,
Rassurant
Qu'il s'agisse du temps de ses doutes
Ou du temps de ses larmes,
Quand elle lui parle et même quand elle se tait.
Il l’a toujours respectée
Même au début
Quand elle avait encore peur de perdre le cap.

Dis-leur toi
Que tu sais combien il reste peu d'effort

Dis-leur encore
Que toi tu le sais
Parce que c'est lui et qu'il s'agit d'elle
Qu’ils sauront trouver ce rythme
Ou la peur n’a plus sa place.

Que ce temps de maintenant
N’est plus celui où chacun se cabre
Qu’ils sont arrivés là où les souffles se posent
Confiants même dans leur silence
Et malgré l’absence

Et que non ce n'est pas le privilège des solstices
Ni celui des chevaux
Que tu le sais toi
Parce que c'est lui et qu'il s'agit d'elle.



mardi 13 janvier 2009

Lumières

Esprit Zen

C'Etait Ailleurs !

Dans cet ailleurs lointain une femme a fixé les images de son village. Sept d’entre elles s’étalent dans le quotidien* que le hasard vient de mettre entre mes mains.

Des couleurs tendres. La lumière glisse sur les cernes et brise les ovales des visages profonds. Les regards chauds restent sévères. Accroupie comme en prière dans cet ailleurs aux mille couleurs une femme cherche la terre. J’ai cru tout d’abord au fruit d’un long métrage dont les extraits nous seraient offerts. Là, deux enfants brisent le silence de la tension de leur regard. La corde sur laquelle ils dansent vient de se rompre. Les yeux sur l’accolade du trottoir la jeune fille pétrifiée n’a plus d’âge. Au détour de son regard je suis l’ombre de son visage : L ‘asphalte pour berceau et les humeurs du caniveau comme murmures de son dernier sommeil, un enfant nouveau-né baigne seul dans la réalité des pavés.
Les fées de son chevet, bureaucrates affairés ou et ménagères au panier d’osier en bandoulière, passent devant lui d’un pas pressé sans un regard étonné.

Sous l’ombre de la ville il est resté cinq jours quand enfin une femme vient l’envelopper d’un linge. Elle lui offre comme abri une planche cloutée et un carton mouillé. Mais l’enfant froid se tait. Un vieillard à son tour l’entortille d’un souhait. Il le prend dans ses bras et sous sa maison de bois lui fait faire le voyage.

Pudique, la photographe pose son appareil en dehors de la scène. Aujourd’hui elle se cache risquant sa vie pour avoir livré au monde le quotidien de son village. Elle mérite la mort dit-on là-bas.
Mort pour avoir livré au monde l’avenir d’une enfant née fille en son pays !

Je referme le journal tentant de retrouver des images qui sont miennes mais le goût reste amer. Difficile de poursuivre sa route avec le même visage .

* Revue « Paris Match » du 17/5/01 pages 68-73. Article : Juliette Demey. Photos : Xiaolen

Honneur à La Résistance

Commande ATTAC ( 86 ) - Juin 2004

mercredi 7 janvier 2009

L’Écho



Petit garçon au sourire de cristal
Tu m’as choisie
Comme miroir de tes peurs.

A chacune de nos rencontres,
Reflet des vacarmes indiscrets
Où tes souffrances se lisent
Dans cet espace qui est tien,
Tu pourras te poser
Ou simplement pleurer.

De tes doigts malhabiles
Tes béances assassines
Se dessinent.
Là où tu trembles,
Perdu dans cet ailleurs
Tu gommes et tu rayes.

La page blanche du carnet
Esquisse de tes secrets,
Là où tes mots découpés,
Perles à trier,
Se mêlent et se dispersent,
A grands cris
Tu te terres.

Tu déchires ton nom,
Mon oreille est patiente,
Il ne faut rien attendre.

Demain, peut-être
Tu reprendras l’écho,
Tu porteras ce nom,
Étendard de ta voix.

En moi, alors
Restera de tes pas
Le souvenir de ces traces,
Ma rencontre avec toi.

Précieuse Escale

Les ailes du Piano





Les dalles au sol reflètent les ombres qui s’envolent telles de grandes ailes d’oiseaux migrateurs s’étendraient sur le sable humide et chaud du soleil couchant partant vers un ailleurs où secrets et quotidien s’emmêlent. Le murmure des vagues bruisse dans les cheveux de mousse qui enveloppent les anges de la fontaine. Le tintement régulier de la cloche du tramway bat dans mon dos telle la butée de l’aiguille d’un métronome imaginaire .


Soudain des rythmes naissent entre ciel et terre.

Offert au vent tiède, le corps charpenté dans sa robe dorée, il est arrivé de nulle-part. Les sons qu’il produit semble d’un autre monde, la résonance de la place rappelle le corps des cathédrales.

Les ombres sur le sol suspendent leur envol.

Une jeune femme aux pieds nus dessine des arabesques sur le pavé. Assis sur un tabouret, un jeune homme presse devant lui les touches d’ivoire parfois avec violence puis reprend avec douceur alors que le corps de la jeune fille glisse puis s‘élève vers l’absence des nuages. Elle rampe encore à effleurer les dalles.
Est-ce lui ou bien cette fille dansant à ses pieds qui dirige le bal ?
Quelques phrases encore aux rythmes plus ou moins lascifs et lui se lève pour la rejoindre. Ils disparaissent ensemble dans la première ruelle.

Un adolescent prend aussitôt place devant le corps de bois et entame des chants de terre et de brouillard, mémoire de son enfance ailleurs. Son paysage de steppes est traversé par une horde de chevaux sauvages, leur robe de la couleur des sommets himalayens, la crinière suspendue aux raies de lumière. Au cœur de son village des femmes aux cheveux tressés de rubans rouges et verts font voler leurs jupons colorés dans la crête du vent.

La solitude est douce bercée par les vents de Caucase.

D’autres rythmes s’élèvent de l’ombre d’une façade. Guidée par les saxophones et les cymbales qui se répondent, mon âme méandre lentement vers d’autres paysages faits de sel et de sable crissant sous mes pas.
Le ciel s’assombrit. Un orage se lève et le silence peu à peu s’installe. Mon regard cherche la robe dorée bordée de touches d’ivoire. La place est déserte. Seule les dalles roses luisent d’une onde plus sombre.

Je me demande si je n’ai pas rêvé.

J’ai aimé me perdre dans des ruelles plongeant vers des profondeurs sans lumière. Là où les balcons et les portes cochères, les voûtes et les places rondes émergent avec brutalité, là où même un chat ne s’aventurerait pas. Là où parlent encore les pierres dans ces cours intérieures faîtes de dentelles de fer forgé et de pavés mêlés à la terre.
De nouveau dans la lumière, j’ai cherché les traces de la robe dorée. J’ai tenté de retrouver mon chemin en direction de la fontaine de pierres et de mousse. J’ai perçu au loin les sons chauds des doigts caressant les touches d'ivoire quand les tambours frappent les cordes de métal. J’ai pressé mon pas.

Il était là. L’orage étant passé, il s’était arrêté à l’ombre des marches de l’immeuble massif que seule cette place pouvait accueillir.
Maintenant un homme d’âge mûr était assis sur le tabouret, son feutre oublié au bord de la robe de bois devenue sombre. Il dansait presque sur lui-même en battant la mesure de son pied gauche.

Je me suis assise à même les marches et suis restée encore un peu à l’écouter de peur qu’il ne prenne de nouveau son envol.

mardi 6 janvier 2009

La Dame de Nazaré







Le reflet de vos façades drapées de faïence bleue ou verte miroite au coucher du soleil dans la toile d’araignée que tissent les ruelles où j’ai plaisir à me perdre. Le murmure de mes pas sur les dalles inégales se mêle aux sons des ateliers imaginés derrière chacune des fenêtres entrebâillées.

Au-dessus du village veille encore l’empreinte du sabot de ce cheval qui a su arrêter sa course et protéger son cavalier. La chapelle élevée à cet effet, grande comme le berceau de vos enfants, reste la charpente de vos promenades.

Il m’est arrivée de vous rencontrer au-delà de la grève, à l’ombre de vos pierres sans âge. Le regard aussi clair que la mer que vous lisiez adossée à la falaise, votre regard portait les visages au-delà de la plage.

Je craignais de vous importuner, tant de bruit, tant de cris, viennent heurter les plis de vos multiples jupons. Je vous ai adressé une prière, partir avec une image de vous et vous m’avez souri, habituée pourtant à être volée de vos traits fatigués. Vous vous êtes redressée et dans le cadre de mon boîtier, vous êtes devenue princesse d’un autre temps : Le port de tête altier, vous avez tourné le regard chargé de votre passé au-delà des ruelles, par delà la falaise ; là où la mer un jour vous a privée de celui que vous aimiez. Je peux le lire dans vos yeux.
A l’ombre de vos épaules, une mosaïque argent et ocre faîte de poissons séchés côtoie le sable blanc et illumine chacun des traits de votre visage. Vous souriez encore pleine du désir de vous souvenir, pleine du désir de vous faire belle.

Un instant entre vous et moi, la mer s’est arrêtée de battre les rochers. Vous vous êtes reposée puis de nouveau votre regard s’est porté sur chacun des reflets des filets à vos côtés.

L'Eau



Les catastrophes engendrent parfois d’étranges comportements.
Cette année-là, le fleuve qui flirtait avec douceur avec le liseré du jardin de mes grand-parents décidait d’élargir son lit las de la sagesse de sa rive. Je leur rendis visite afin d’évaluer les risques encourus.

A mon arrivée, je découvris quelques hommes dans la cour en contrebas de la route. L’eau effleurait déjà la hauteur de leurs mollets protégés par des bottes de pêcheur. Ils déchargeaient avec entrain des palettes de bois le long des murs de la façade de la maison permettant ainsi d’accéder à la porte d’entrée sans risquer un bain de pieds à chaque trajet. Je sautai de planche en planche comme je le faisais aux jeux de marelle de mon enfance en espérant ne pas trébucher.

En passant le seuil, une délicieuse odeur de cuisine vînt me chatouiller les narines. Ma grand-mère attendait manifestement quelqu’un d’important pour le déjeuner.
Intriguée par ses projets je l’appelai depuis l’entrée. Elle m’apparut en haut de l’escalier dans une tenue pour le moins paradoxale étant donné les mouvements extérieurs. Elle était en effet vêtue d’un superbe tailleur bleu-ciel et chaussée d’une paire de bottes de caoutchouc. Son visage s’épanouit quand elle m’annonça l’arrivée éminente de son fils aîné. Elle ne le voyait qu’une fois par an.
J’avançai dans le salon afin de saluer mon grand-père. Tel un adolescent qui s‘apprêterait à s‘élancer au creux de la prochaine vague du haut du rochers de la falaise, il était sur la terrasse penché au bord de l’escalier de pierre qui donnait accès au jardin. Attitude fort risquée étant donné son grand âge.
Je m’approchai doucement de lui pour le découvrir un mètre à la main. L’eau, dit-il avec une éloquence que je ne lui connaissais guère, montait d’un centimètre toutes les demies-heure. Il n’en semblait pas affecté pour autant.
Ne voulant pas le brusquer, je lui demandai combien d’inondations il avait connues.
Il se redressa vivement et fit surgir avec fierté un minuscule carnet de sa poche de pantalon. Il se mit à me montrer avec attention la liste des multiples crues qu’il avait relevées depuis soixante ans. Pour chacune d’elles il avait scrupuleusement précisé la vitesse de la montée des eaux comme il le faisait à l’instant même.
Il me raconta comment une fois déjà il avait dû débarrasser le rez-de-chaussée les pieds dans l’eau s’étant laissé surprendre et avait perdu la moitié de sa bibliothèque.
Les livres étaient toutes sa vie. Il allait les choisir lui-même encore à son âge au cours de l’une de ses promenades pédestres quotidiennes. La libraire devenue une amie depuis longtemps, était enfouie dans une boutique de la taille d’une boite à chaussure. Son visage usé comme les rides laissées par la mer sur le sable quand elle se retire gardait un regard vif et chaleureux. Ils échangeaient souvent durant de longues heures.
Rangés dans son salon les livres tapissaient ensuite chacun des murs classés par auteur et par année. Il y en avait même de très anciens à la couverture sculptée d’ivoire. Chacun renfermant un secret : un article ou une page d’encre noire d’une petite écriture droite et serrée, la sienne.
Il y avait aussi les siens dont les manuscrits côtoyaient les exemplaires reliés, poésies et romans que je prenais plaisir à lire et relire et dont il m’avait offert un exemplaire dédicacé, dédicace toute particulière, à moi sa petite fille.

Malgré cela aujourd’hui encore il ne prenait aucune précaution pour se prémunir contre de nouveaux dégâts.

Sous nos yeux les branches du saule pleureur se reflétait dans l’eau qui léchait déjà son tronc avec allégresse. Les jarres prenaient un bain profond ne laissant plus apparaître que quelques pétales de fleurs. Deux canards s’approchaient des quelques marches encore à fleur d’eau. Ils semblaient vouloir se dégourdir les pattes sous nos yeux. Sidérée par l’attitude de mes grand-parents il m’était difficile de m’émerveiller face à la délicatesse du paysage qui s’offrait à moi.

Comprenant qu’ils seraient incapables de prendre une décision, je m’empressai de trouver des cartons et du journal. Fort heureusement, ma grand-mère était experte dans la collection de ce genre d’utilité. Je commençai par empiler la vaisselle de valeur sachant combien elle y était attachée même si j‘eus préféré commencer par les livres.
Les tapis et les fauteuils pourraient être montés plus tard. J’espérais l’arrivée de mon oncle pour les raisonner et m’aider à surélever les meubles.

Mon grand-père s’approcha de moi inquiet. Il me demanda pourquoi je vidais les placards quand l’eau n’avait pas encore atteint les parquets. Je lui précisai préférer faire cela les pieds au sec. Attendre encore signifiait une visite assurée de quelques rats le long de mes mollets ou pire de mes avant-bras. J’en avais aperçu quelques-uns en allant quérir les cartons dans le chai voisin.
Il ne semblait pas comprendre et continuait ses allers et retours vers la terrasse, le mètre toujours à la main.
Les informations annonçaient de plus en plus de routes coupées et prévoyaient une crue plus forte pour la nuit. A chacun de mes transport à l’étage, ma grand-mère hurlait. Il était ridicule selon elle de faire tout ce remue-ménage quand il faudrait tout redescendre. L’eau elle en était certaine n’atteindrait jamais sa maison.
Elle m’empêcha de rouler les tapis souhaitant toujours garder une pièce correcte pour l’arrivée de son fils.
Heureusement mon oncle fit enfin son apparition.
Il leur parla avec fermeté puis m’aida à déplacer les objets les plus volumineux. Nous eûmes encore le temps de relever les meubles par des parpaings.

Le soir, mes grand-parents acceptèrent tout de même de dormir à l’hôtel. L’eau ayant atteint un bon mètre à l’intérieur de leur demeure. Ils y restèrent plus d’une quinzaine de jours.
Mon grand-père venait chaque matin mesurer la hauteur de l’eau sur les façades. Il notait celle-ci dans son calepin et me téléphonait ensuite le résultat de son escapade.
Quelques semaines plus tard, il manifesta une étrange fatigue et dû suivre un traitement. Sa femme lui administrait avec empressement.
Quand ils purent intégrer de nouveau leurs murs, ils durent encore séjourner à l’étage le temps des travaux. Mon grand-père se mit à faire des chutes inexpliquées et à parler seul. Ma grand-mère préparait ses collations avec animosité lui reprochant sa déchéance. Arrivée un jour sans prévenir, je la vis le pousser pendant qu’il tentait de se vêtir.
Il devînt finalement gravement malade et dut-être hospitalisé.

Au sein du service où il était sa femme le nourrissait sans chaleur et supprimait parfois une partie de ses repas. Il n’en a pas besoin ou ne l’apprécie pas justifiait-elle.
A son chevet, elle envisageait déjà son enterrement sans amertume apparente. Elle espérait seulement ne pas devoir le veiller trop longtemps. Elle organisait sa vie sans lui et n’admettait pas de le voir revenir un jour dans sa demeure.

L’eau quitta enfin totalement le jardin. Mon grand-père, lui, ne réintégra jamais son domicile Mon oncle s’empressa de charger les objets de valeur dans le coffre de sa voiture afin d’en agrémenter son salon.
Plus tard, il n’assista pas à l’enterrement de son père.

Le Cerf-Volant

Tenir




Tu t’étais attaché à Déian dès son apparition au camp. Il était maigre et portait toujours les vêtements que vous lui aviez donnés à votre arrivée. Vous en aviez distribué à tous les civils. Son pantalon écossais trop grand pour lui était retenu par une ceinture de corde.
Enfant, il représentait l’avenir de ta mission et son regard t’interrogeait sans cesse.
Il avait perdu chacun des membres de sa famille au cours du dernier hiver. Il ne lui restait que son père mais il ne le voyait guère que s’il allait errer le long des lignes de tir.
A sa manière, lui aussi participait à cette guerre. Il courait à travers la ville afin de repérer les embuscades ennemies et rapportait aux siens les informations qu’il avait pu glaner.

Tu étais là-bas pour tenter, en vain me semblait-il, d’interrompre les feux de ce combat absurde que personne ne réussissait ni à comprendre ni à arrêter.

Déian venait à ton campement pour se divertir mais aussi pour s’informer. Tu étais son espoir. Il te suivait partout de près ou de loin, selon tes activités. Il savait quand il risquait de te gêner, il le savait intuitivement.
Le dimanche était ta seule journée de repos. Il s’adossait alors à la porte de ta chambre attendant que tu t’éveilles. Quand tu commençais à bouger, il frappait.
Il te racontait son histoire et te chantait des airs qu’il avait appris quand son école tenait encore debout. Un jour, alors qu’il jouait dans la campagne alentour il avait vu son frère sauter sur une mine.
Quelques semaines plus tard, ce fût le tour de sa mère : Elle allait puiser l’eau à la seule pompe utilisable et fut atteinte par l’explosion de l’hôpital.

Puis il y eut ce matin là où tu ne l’attendais pas. Du bout du sentier, il hurlait ton nom encore maladroitement. Tu le vis courir poursuivi par un soldat de la milice.
A la grille il s’écroula.
Quand tu le pris dans tes bras il te murmura « continue » et s’endormit pour toujours.

Tu n’avais pas pu le protéger.
Continuer quoi ? Tu n’avais pas le droit d’intervenir.

Tu te mis à déambuler dans les rues, au travers des ruines à l’heure du couvre-feu te demandant encore le but de ta présence en ce lieu.
La profondeur du silence était angoissante. Tu savais que derrière chaque pilier, derrière chaque ouverture béante pouvait se cacher un traquenard.
Soudain, à deux pas, la terre se mit à craquer.
Surgissant de nulle-part un homme avançait vers toi à petit pas. Il lisait un journal ce qui te sembla insolite dans ce pays où l’information était plus lente que les bombes.
Espérait-il encore y lire un avenir ? Son avenir.
Arrivé à ta hauteur, il s’arrêta.
Méfiant tu fis un écart. Il brandit un revolver à la crosse poussiéreuse. Tu pensais vivre ta dernière heure. Que pouvais-tu faire ? L’observer, afin de mieux mesurer le temps qu’il te restait ?
Il leva le bras. Tu tremblais.
Le regard profondément vide il pressa l’arme contre sa tempe et tira.
Il s’affaissa le journal toujours dans sa main droite.
Tu fus contraint de relever son identité. Il n’était pour toi qu’un inconnu. Qui d’autre saurait ? Qui pourrait le pleurer ? Tant de monde avait fui, tant d’autres étaient déjà morts. Celui là encore était mort seul, en son pays.
Pourquoi t’avait-il choisi comme témoin de son dernier acte ?

N’étais-tu pas venu chez lui pour le libérer ?
Tu rentras au camp vomir ton impuissance.

lundi 5 janvier 2009

Les Touches d'Ivoire

Le Temps

Le Silence


Tu te balançais d’avant en arrière dans le canapé du salon ; meurtrissant ton visage de ton poing fermé, un doigt rejoignait parfois ta bouche.

De ton corps aurait pu naître une musique que je ne percevais pas encore. Était-ce un rêve qui pour toi s’animait ou bien une douleur qui t’enveloppait si fort ?
Il m’était impossible de te saisir et plus difficile encore de saisir le sens de ton silence.
Les autres parlaient de toi comme d’un être dégénéré, inachevé mais je sentais une vivacité dans l’absence de ton regard ainsi que dans tout ce qui émanait de toi.
Ta mère me fit une liste de ce que tu n’aimais pas : manger froid et en morceau, rester dans ta chaise, entendre du piano.
Comment le savait-elle ? Tu ne te racontais pas.
Elle, détestait le piano !

Pour eux, tu restais une énigme. S’en accommodaient-ils ? Pour moi tu étais l’enfant que j’allais garder durant toute une année.
Elle me dit que tu avais deux ans. Je découvrirai plus tard que tu en avais déjà six.
Tes parents étant pris par leur travail, je te retrouvais tous les après-midis jusque tard le soir. Ton silence , je le remplissais d’histoire que j’avais inventées la veille.
Je t’installais dans la poussette conçue spécialement pour toi et nous partions découvrir les jardins alentour. Je te racontais les feuilles des arbres, les oiseaux, les lacs et les autres enfants qui devant nous jouaient, couraient et riaient tandis que tu te taisais.

Deux doigts dans la bouche, de l’autre main tu te mortifiais sans cesse. Eux nous regardaient l’un après l’autre. Dans leurs yeux apparaissaient pitié, accusation, jugement. Chacun de ces sentiments se succédaient se renouvelaient. Peut-être craignaient ils de se retrouver à notre place, ne serait-ce que pour un instant ?

A l’approche des escaliers de pierre, dans le grand jardin près de ta maison, j’avais besoin d’une aide pour te soulever à travers ses marches infranchissables. Je les cherchais alors malgré leur regard désapprobateur mais passant à nos côtés et te voyant te frapper ils devenaient sourds ou semblaient soudain désintéressés et particulièrement affairés.
Dans cette foule des après-midis printaniers il se trouvait pourtant souvent une âme qui se distinguait.
Tu te cabrais, tu t’enfuyais dans cet ailleurs inaccessible détournant brutalement la tête, pourtant nous atteignons enfin le sommet des marches.
Tu semblais effrayé par la nouveauté te tordant et hurlant toujours plus fort. Dans l’espoir de te rassurer je te racontais l’herbe coupée et les projets de notre soirée.
L’heure du repas s’accompagnait de tout un rituel. Le sol autour de ton siège était recouvert de plastique dans l’attente de tes colères.
Ces habitudes alimentaires calmaient sans doute la détresse de tes proches plus qu’elles n’allégeaient tes angoisses à l’égard de la nourriture !

Où étaient tes mots ?
Oh, tu connaissais les sons ! Les rauques, les aigus, les gazouillis. Et ton silence même, devint peu à peu pour moi un autre langage. J’apprenais à te comprendre.
Quand je te parlais, je surprenais même ton regard s’arrêtant sur ma bouche comme pour en saisir les morts. Mais, si je t’observais, tu fuyais de nouveau.

Tu acceptais que je te prenne dans mes bras et tu t’y reposais même quelques instants,
parfois.

Tu étais traité comme un nouveau-né : Langes, purée, sommeil. Si tu dérangeais en criant trop fort, le traitement de somnifère descendait de l’étagère.
Désiraient-ils vraiment te voir sortir du silence ? Peut-être ne faisais-tu que satisfaire le désir de ceux qui t’entouraient ? Je me surprenais à le penser. N’avaient-ils jamais essayé de te voir grandir ? Savais-tu, comme les autres enfants plus jeunes que toi, ce qu’était s’asseoir sur un pot et jouer à toucher et salir avec tes doigts ?
Il ne t’était offert que des choses sous plastique et tes tentatives esquissées étaient vite réprimées, même si c’était avec douceur !
Je cherchais ton désir mais n’était-ce pas en vain ?

Durant l’été ta garde me fût confiée totalement dans une maison de campagne isolée du monde, isolée des tiens. Y pensant aujourd’hui, j’étais bien jeune pour cela ayant à peine vingt ans.
Tu t’étais déjà habitué à moi et meurtrissais plus rarement ton visage.
Nos promenades à travers champs nous conduisaient à la piscine du village. Là, les enfants tentaient de jouer avec toi mais tu les craignais et te raccrochais à mes bras.

Je m’étais tricoté une veste de laine dont tu semblais apprécier la texture et la couleur. Quand tu cherchais le sommeil, je la laissais à tes côtés afin de te rassurer et t’apaiser avec mon odeur. Je réussissais ainsi à faire abstraction des somnifères et autres médicaments. Les deux premières nuits, tu m’interpellais bien. Mais ma chambre contiguë à la tienne, je me trouvais aussitôt auprès de toi et tes craintes évanouies, tu te rendormais sans angoisse jusqu’au matin.

Dans la cuisine où nous prenions nos repas je te préparais des plats à moitié mixés à moitié en petits morceaux. Nous jouions ensemble à manger les dés de jambons ou de poisson que tu dégustais sous mon regard attendri.
Tu commençais à t’exprimer autrement que par des cris.
Un jour tu poussais ton assiette hors de la table en grondant et elle s’écrasa sur le sol. Je me retournais en me fâchant mais je réalisais aussitôt ma maladresse. Ne venais-tu pas de te manifester ? L’enfant commence par dire non et tu venais d’exprimer un je ne veux pas ! Je m’excusais et te remerciais d’avoir tenté de te dire.
A ton tour tu me regardas interloqué et pour la première fois aussi droit dans les yeux. Tu avanças doucement ton bras et me caressas la joue.
Tu grandissais.

Chez toi déjà j’avais tenté de te faire marcher comme on apprend aux jeunes enfants mais l’espace de l’appartement était réduit. Dans cette maison les pièces étaient vastes et le sol du jardin assez régulier. Nous allions ensemble parler aux fleurs et raconter notre journée aux poissons dans le bassin. A la fin des vacances tu ne t’appuyais plus que sur mon petit doigt en riant. Tes mains te servaient enfin à maintenir ton équilibre quand tu élaborais un pas et non plus à te fustiger.

Comprenant que tu acceptais maintenant de dire tout en évitant soigneusement les mots, j’entrepris de t’apprendre la peinture avec les doigts, ces doigts que tu mettais souvent encore dans ta bouche. J’installai une grande feuille de papier sur la table et plaçai quelques couleurs sur une palette.
Je savais que tu m’observais, je te racontais ce que nous allions faire. Je t’y avais préparé depuis quelques jours. Je trempais moi-même l’index dans la pâte molle et dessinais quelques fleurs. Au début tu bougeais en tous sens, inquiété sans doute de salir l’espace autour de toi mais je t’expliquais qu’il s’agissait d’un jeu et te montrais comment nous pouvions réparer ensuite en enlevant la feuille pour te montrer comment la table était restée intacte. Je passais aussi mes mains sous l’eau pour te présenter mes doigts propres. Tu retrouvais peu à peu ton calme et je te suggérais d’essayer à ton tour avec mon aide.
Tu me laissas prendre ta main. Je plaçais un de tes doigts dans la peinture et te faisais découvrir la différence des teintes. Je t’expliquais ainsi comment avec le chiffon il nous serait facile de nettoyer tes doigts et de recommencer avec une autre couleur.
Je te proposais enfin d’essayer seul. Tout d’abord hésitant, tu entrepris enfin un nouveau dessin en riant.

A mesure que tu évoluais ton corps changeait. Tu t’allongeais prenant l’espace de tes bras au lieu de tenter toujours de te rétrécir comme tu le faisais auparavant.
Il me restait à t’apprendre à vivre sans l’encombrement des langes. Je t’y préparais tout d’abord en te parlant et en te montrant le pot. Je fus moi-même étonnée par ce nouveau succès. Au bout de quelques jours tu y restais assis sans qu’il fut nécessaire de rester à tes côtés.
Un matin alors que je venais de t’y installer tes parents arrivèrent par surprise.
Descendant l’escalier j’eus l’impression de t’entendre dire quelques mots. J’hésitais, prise entre le désir de revenir vers toi et mon devoir de les accueillir. Je pensais finalement avoir rêvé et m’avançais à leur rencontre.
Pourtant aujourd’hui encore je m’interroge ! Seul le ciel et les étoiles savent encore si tu ne venais pas justement de choisir cet instant pour rompre ton silence.
Te sachant seul à l’étage ta mère poussa un hurlement et monta les marches en tremblant. Je l’entendis te cajoler et te bercer de « mon pauvre petit maman est de retour ne t’inquiète pas » laissant par là entendre que j’avais dû te faire vivre d’épouvantables dangers.

Je priais en silence pour que tu cries et te débattes en formulant enfin des « Mais regarde Maman je sais marcher je suis grand je ne peux plus tomber. » Ce devait-être encore trop difficile pour toi d’affronter ce désir qu’elle manifestait de te garder ainsi en se protégeant derrière ton silence.

Je fus vite renvoyée à mes vacances pour une quinzaine de jours. A mon retour je restais quelques temps sans nouvelles. Puis un soir, je fus enfin contactée pour te garder.
Entrant chez toi, je fus envahie par une sensation étrange. Ton dîner était déjà préparé et fait comme à l’accoutumée de purée et de yaourt au cas où j’aurais pris quelques initiatives.
Ta mère me demanda d’un ton sec de changer tes langes d’ici une heure puis me devança dans la chambre où tu étais alité et attaché par des sangles.
M’approchant de ton lit je ne pouvais que retenir mes larmes découvrant la boîte de somnifère bien en vue sur l’étagère.

Ce soir là fut ma dernière soirée passée à tes côtés. Malgré le temps écoulé je pense encore à toi et à mon tour il ne me reste que le silence pour t’aimer.

dimanche 4 janvier 2009

Ecrits sur le sable

Barbelés en rivière


Justifier

Elles viennent de lâcher le fil de barbelé accroché à leurs dents durant douze saisons.
Chacun de ces instants s’accompagne d’un nouveau livre de larmes. Chacune de ces rencontres avec l’homme en blouse blanche et son lot de pinces coupantes était suivie de douleurs qui rendaient chaque bouchée, même la plus désirée : chocolat chips ou autre volupté, le pire enfer que la terre ait pu leur offrir et rendait anorexique pour deux ou trois repas la plus gourmande des quatre.
Elles ont pourtant troqué leur bouche grillagée pour quelques vis et trous plus ou moins espacés sur leur lèvre du haut, du bas, ou les deux à la fois afin de tisser le silence des mots du cœur, un ou deux sur la langue pour éloigner les baisers sans omettre le nez afin de rejeter toute la saveur des embruns au bord de l’océan et du miel doré à l‘aube du Printemps.
La vie les aurait-elle rendues à ce point amères que le short fleuri et le t-short au bord des seins ne soient plus qu’une arme pour mieux happer l’autre dans les griffes du cœur oublié telle l’araignée du matin tissant sa toile au bord de la rosée afin de mieux trahir l’insecte. Ont-elles déjà troqué leurs rêves les plus secrets pour cette bouche amère ? Pourtant leurs pommettes se transforment en crevettes au couchant ou crabe sur les braises quand le jeune homme assis face à elle leur offre son sourire timide au dessus du verre menthe à l‘eau.
Mais ce feu qui les brûle est-il si dangereux qu’elles doivent dresser de nouveaux grillages et portes blindées.
Que leur dire des autres, censés guider leurs pas vers l’autre rive, celle de la liberté ?

Je déteste ce temps des départs, cet âge où le monde se doit d’être raisonnable.
Je déteste encore ce regard en biais sur la courbe de mon mollet montant jusqu’à mon ventre sans interrogation sur mon cœur en dedans.
Je déteste quand tu pars et que les vents t’éloignent mais je déteste autant quand mon ventre se tord et que mon vocabulaire se réduit à quelques mots aussi vides que la bourse d’un mendiant ... Je déteste quand je ne sais plus gérer le temps qui nous sépare. Je déteste quand j’oublie la douceur de ta bouche, happée par le vide de ton temps de vacances.
Je préfère retrouver le silence et me blottir dans le souvenir de tes murmures.
Je déteste leur rire quand ils ont bu et ces enfants qui pleurent et que l’on bat quand ils rêvent de tendresse et de bras pour mieux les enlacer.
Je déteste la pluie fine et le froid de l’hiver et le cri des parents qui ne veulent pas entendre les rêves de leur adolescent.
Je déteste la cravache qui tombe sur le dos du cheval et le pouvoir des hommes qui mesurent leur bras et étalent leur savoir auquel ils ne croient pas.
Je déteste ces matins de Noël quand les frontières sont la cible des bombes jetées au nom du divin quand ailleurs encore les grands hommes s’échappent au bord d’océans lointains sanctifiant des compatriotes qui se sont nourri de ceux qui dorment aujourd’hui sous des tentes de misère.
Je déteste quand les enfants ont peur du noir et que les savants se moquent des histoires.