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Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

mercredi 14 juillet 2010

En Bordure du Port


Elle s’est hissée le long du quai afin de calmer le pincement qui, depuis la veille,  tel un nœud marin, se tord au creux du ventre et court maintenant sur sa peau.
Tu aurais dû rentrer hier par le dernier bateau mais les vols venant du sud avaient été annulés. Elle l’avait appris au réveil. Tu as été appelé pour couvrir le tremblement de terre et les  bouleversements économiques et politiques qui y sont associés. L’organisation des secours même fait polémique.
Les blessés, mais aussi les sans-abris se comptent par milliers. Et maintenant des émeutes naissent dans les ruines bloquant les abords de l’aéroport.
Pourquoi reproche-t-on aux êtres qui n’ont plus rien de se servir dans les ruines du centre commercial. Ce n’est pas tout à fait comme de voler dans les pierres des maisons. Les denrées sont de toute façon perdues puisque périssables alors qu’ils n’ont plus rien mais chacun se sent à la fois concerné par leur détresse tout en criant au scandale.
Elle, a vraiment un peu de mal à comprendre. Le monde tourne parfois d’une bien étrange façon ! Elle se demande souvent comment tu arrives à prendre et garder du recul face aux sujets pour lesquels le journal t’envoie.
Tu ne peux pas la joindre, la rassurer, lui parler.
Elle cherche dans les voiles qui se couchent après un long séjour au large, un apaisement à ses inquiétudes comme à chacune de tes absences quand celles-ci se prolongent.
Le clapotis des vagues caresse les pontons avec une douceur mêlée de témérité. Elle aime entendre les marins se raconter leur sortie en mer d’un pont à l’autre une dernière fois avant la nuit.
Où es-tu ?
Cette petite phrase se perd  seule sur l’océan dans le lointain.
Où es-tu ? Toi qui sais décrire la soie fine dans l’ourlet de son cou allant de l’oreille à la courbe de son épaule.

Elle vient de passer chez Tania. Sa meilleure amie ne donnait plus de nouvelles depuis quelques mois ce qui ne lui ressemblait pas. Elle avait décidé d’aller la voir afin de comprendre ce qui lui arrivait. Elle venait de la découvrir amaigrie, le regard triste tournant dans un appartement qui donnait l’impression d’une loge monacale. Ses toiles si vives n’étaient plus accrochées sur les murs. Tania après une chute de cheval grave s’était mise à la peinture. L’odeur si particulière et si sensuelle de la peinture à l’huile n’exhalait plus dans l’appartement.
Surprise elle resta longtemps sans voix face à Tania seule dans son logement et le regard si terne. Au téléphone chaque fois elle avait répondu enjouée qu’elle n’était pas disponible qu’elle partait avec son compagnon visiter la Crête une fois, le Mont Saint-Michel une autre le Nord de la France une fois encore. Elle avait cru que Tania avait trouvé dans sa nouvelle vie de couple suffisamment de joie pour n’avoir plus besoin de sa compagnie.
Elle avait été blessée un peu en secret. Tania était sa meilleure amie depuis l’enfance. Elles riaient souvent de leur complicité quand elles arpentaient le village pour faire des blagues aux villageois qui n’étaient sans doute pas dupes mais elles y croyaient et c’était ça qui comptait, qui rendait les choses excitantes et secrètes.
Elles partaient souvent toutes les deux faire des randonnées en vélo ou à cheval emportant un pique-nique et disparaissant pour la journée.
Elle enviait un peu Tania et l’admirait aussi. Elle était belle et sans fards. Elle aussi avait des yeux verts mais Tania, les siens étaient plus beaux. Ses yeux étaient plus verts, vert comme l’océan aux abords des côtes d’Arcachon là-bas où l’école les avait emmenées enfants, pour le voyage de fin de primaire. Et puis les minauderies n’étaient pas pour elle contrairement aux autres filles de la classe. Elle était brillante aussi. Elle avait toujours les meilleurs résultats même si elle-même était souvent juste derrière ou à parts égales. Rarement elle avait réussi à lui passer devant. Et puis Tania était toujours calme avec les autres tandis qu’elle cherchait parfois le conflit avec l’autorité manifestant de l’insolence en tous cas c’est ce que disaient les adultes ! Mais Tania ne lui en tenait jamais rigueur. Elles savaient toutes les deux que leur amitié était pour toujours. Elles pourraient compter l’une sur l’autre même si jamais cela n’avait été dit. Pas besoin. Il y a des choses que l’on sait même quand on a dix ans.
A l’adolescence, à Pâques, une année elles étaient parties camper à plusieurs faisant des kilomètres à bicyclette avant d’atteindre l’océan aux teintes argentées. Cela avait été le meilleur moment. Tout d’abord parce que pour la première fois les parents avaient donné leur accord quand chacune était persuadée que ce serait impossible. Les siens surtout, l’avaient étonnée. Merci Tania ! Elle était une garantie pour ses parents. Allez savoir pourquoi ? C’était bien, dans leur vie secrète, elles ne parlaient jamais de leurs parents qui étaient amis. Les amitiés des adultes sont trop bizarres. Rien à voir avec la leur !

Alors Tania dans cet appartement sans vie sans charme froid comme une pierre recouverte par la neige, ce n’était pas elle.
Tania avait mis quelque temps avant de parler enfin. Elle avait pu lui dire la réalité de ce qu’elle vivait dans quel enfer seule elle s’était aventurée et enlisée.

Elle avait raconté comment il lui imposait sa main dans la sienne, combien c’était un rôle prévu à exposer au monde. Donner en public une image toujours quand à la maison l’intimité était tout autre. Il l’envahissait dans chacun de ses gestes. Imposait l’heure du réveil, la texture du repas, fait de privation et de rituels multiples. Il l’humiliait sans cesse puis la réveillait la nuit en lui imposant son corps brutalement sans un regard pour elle.
Elle ne pouvait plus peindre. Il restait toujours derrière elle à commenter, corriger ! Il avait même écrasé les tubes sur la toile la dernière fois en marchant dessus. Tania peignait la toile sur le sol dans son atelier. C’est ainsi qu’elle avait cessé de peindre.

Elle sentait combien Tania retenait encore des choses inavouables. Mais elle avait réussi à lui demandé son aide comme avant et elle avait pu ainsi l'adresser à un professionnel afin qu’elle se libère enfin.

Assise sur cette rive, maintenant seule, elle a le cœur un peu lourd. Elle s’en veut un peu, de n’avoir pas su deviner son amie. Elle aurait tellement souhaité oublier ces jours où elle n’avait pas su la protéger, tous ces jours où elle avait cru ce qui lui était donné à voir.

Est-ce parce que tu es loin et qu’elle est sans nouvelle de toi.  Elle se sent un peu seule même si elle vient de retrouver son amie. Sa tête est lourde de tous ces secrets qui n’ont rien à voir avec les secrets de l’enfance. Elle regarde un peu les estivants qui déambulent le long du quai s’asseyant aux terrasses pour le dîner. Parfois ils sont deux, parfois c’est en groupe qu’ils s’aventurent au dehors.
En d’autres temps elle les aurait trouvés charmants et joueurs avec ce teint halé qui leur va bien. Habillés souvent très courts comme pour vanter les effets du soleil sous leur short au ras des fesses et le ventre toujours à l’air. Mais là, elle se sent de mauvaise humeur et voit tout ce qui ne va pas.
C’est comme si elle cherchait l’erreur chaque fois qu’elle pose le regard sur l’un d’eux elle lit l’ennui, la froideur, l’amertume. C’en est trop, cela doit bien venir un peu d’elle, de ce qu’elle a au fond du cœur.

Dans la brume au-delà de la digue, les marins sur les voiliers en direction du port, doucement affalent la grand voile tandis qu’au bord du quai, du reflet rose de l’eau sur les coques, personne ne parle. Et ces mats, au repos qui stridulent tels des grillons un soir de pleine lune, aucun ne les entend.

Où es-tu ?
Tu es là sur sa peau. Tu regardes avec elle les couleurs qui se mêlent sur cet horizon tiède. Elle sent ton souffle sur sa nuque et ta main qui se glisse là doucement.
Où es-tu ?

Décidément elle a le regard amer même les vagues sont chagrines quand les serveurs s’agitent.

Où es-tu ? Regardes-tu le ciel pour te rapprocher d’elle ?

Sous l’encre de tes doigts sur sa peau,
Sur le sable blanc d’une feuille de papier,
Dans les images que tu colles,
Dans la musique de ta bouche
Tu réinventes  mille mots
Qui disent tes sentiments pour elle.
Où es-tu ?

Un groupe bruyant vient de s’installer.
En bordure du quai, les voiles se roulent une à une et les marins avancent sur les pontons au rythme de la marée, indifférents à l’agitation sur les terrasses.
Elle les découvre mieux, un à un, deux à deux. S’ils s’imposent ainsi c’est bien pour s’offrir aux regards extérieurs.
Deux d’entre eux, à eux seuls, font le rythme de la table. Mieux qu’un reality show ! Ils se touchent comme la glaise entre les doigts du potier. Les gestes sont brutaux, les mots sont crus. L’un provoque l’autre prenant le groupe à témoin. Chacun rit fort et commente. L’autre alors palpe plus fort y mêlant des sons et des mots plus vulgaires et violents encore.

Où es-tu ?
Toi dont les mots caressent les lumières et les vents.

Ils sont vraiment envahissants, imposants.
Où es-tu ? Toi dont les murmures ne sont qu’attention et douceurs. Toi dont le regard l’effleure toujours comme on caresse les pétales d’une rose.
Où es-tu ?

Les nœuds du tissu minimal qui enveloppe la poitrine imposante de la femme bruyante se sont défaits. Elle crie quand il la touche mais rit fort et se lève provocante vers l’homme assis à deux places de l’autre côté de la table. Elle se penche vers lui langoureuse lui offrant sa poitrine massive se tourne enfin pour qu’il refasse les liens quand d’un regard insolent elle attise encore  l’homme à l’origine du forfait. Elle rit fort toujours puis bouge son corps autour de la table pour se rassoir sans oublier un regard sur la terrasse afin de mesurer l’effet produit cherchant à être touchée encore par tous les regards et par toutes les mains alentour cherchant comment éveiller le désir.
Elle crie son corps vide à l’adresse du monde. Elle a même un bleu au visage sous son maquillage. Une porte de placard dit-elle sans doute !

Trop de détresse ici.

Où es-tu ?
La lumière au travers des stores fait luire ton corps encore frais de la caresse de l’eau.  Tes jambes fuselées se déplacent avec aisance.

Elle se réfugie sur l’horizon qui prend des teintes mauves vertes et orangées mêlées. Elle tente d’oublier Tania, d’oublier ce groupe et les autres. Elle écoute le vent qui s’élève doucement maintenant que la marée remonte.

Où es-tu ?
A tes côtés elle ne connaît jamais l’ennui. L’ennui c’est ceux là qui se mentent.
Loin d’elle tu es toujours un peu là, gardé un peu comme on garde un secret au creux du cœur.
L’ennui c’est pour les vents contraires, les dîners sans saveurs. L’ennui ce sont les lignes  coupées et les silences qui se prolongent par trop de cris et de brutalité en ce monde.

Le vent se lève. La mer s’ébroue un peu et l’effluve des algues monte jusqu’au quai, monte jusqu’à elle.
Elle sent une main sur sa nuque, ta main douce, suivie d’un baiser.
Tu es là. Yes ! Tu es rentré.
« Viens » murmures-tu dans le creux de son cou.
Comme si tu sentais sa tristesse, tu dis encore,
« Ne restons pas là !!! ».