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Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

samedi 1 mai 2010

La Cabane de Pedro



Ce matin, tu as été appelé en urgence pour un reportage dans le sud. Je n’ai pas très bien compris où. Tu es parti tôt et si vite aussi. Après ton départ, je me suis assoupie et j’ai rêvé de la dune.


Photos - VD - Avril 2010


C’était la tienne. Celle qui m’impressionne encore. Dans mon sommeil, j’ai vu les trois fées de la plage. Elles étaient belles, vêtues d’un voile rose et vert aussi fin que la vague quand elle s’étale sur le sable avant de se retirer. Les reflets liés à la lumière de la lune étaient dorés. Elles mélangeaient des herbes à l’odeur sucrée  d’essences de cèdre et de pin dans un saut de fer blanc aux anses faîtes de cordages. Elles saupoudraient le tout de sel et de sable mêlés récolté au fond de l’océan. Elles ont chanté des mots dans une langue aux sonorités rauques et profondes et faisaient des incantations, en remuant à l’aide des deux bras, des morceaux de bois trouvés non loin, sur la lande de sable. Je crois qu’elles m’ont parlé un peu de toi aussi. Elles m’ont murmuré des mots qui racontaient le passage du sable du Banc d’Arguin  vers le sommet de la dune. Elles se servaient des étoiles pour le porter quand leur dos était fatigué. Elles choisissaient l’heure des solstices pour leurs déplacements les plus grands. Parfois, elles s’aidaient aussi des tempêtes. Leurs pieds avaient des formes un peu particulières, ressemblant à des poissons fins. Elles disaient que c’était plus facile ainsi, pour marcher longtemps. Elles ont dansé enfin sur le sable tiède à la lumière de la nuit.


Photos - VD - Avril 2010


 A mon réveil, je me suis dirigée vers la plage au bord de l’océan, peut-être pour prolonger mon rêve.
La ville était à peine sortie du sommeil. Je voulais être seule, au sommet de la falaise de sable, au bord de la forêt. J’ai regardé au loin comme si je pouvais encore accompagner ton voyage. J’ai laissé vagabonder mon regard sur l’horizon en pensant à tes bras et en faisant ainsi avec toi les mille pas qui te séparaient de nouveau de moi. 
Une tourterelle s’était perdue là, sous les tables de bois, à picorer quelques restes de pique-nique. Elle s’est envolée avec nonchalance juste devant moi. Les marcheurs étaient nombreux en fin de semaine et ne reviendraient plus, maintenant, avant les chaleurs de l’été.
Je me suis avancée plus près. J’ai descendue la dune aux courbes légères parsemées de quelques morceaux de bois tendre et de quelques oyats frais d’un vert encore jeune dansant dans le vent. Tu sais celle où tu m’as emmenée au printemps dernier. Nous avions joué et tellement ri, tu t’en souviens ? Le chant des vagues s’imposait en frappant le bord de la dune noircie par  les restes de la végétation laissés là par les vents d’hiver.
J’ai longtemps marché le long du rivage et j’ai découvert un saut de fer blanc ressemblant aux lessiveuses qu’utilisaient nos arrières grand-mères. Quelques morceaux de vieux bois reposaient au bord des anses faites de cordage. Je me suis alors souvenu de mon rêve. J’ai aussi retrouvé des traces de pas à l’empreinte encore fraîche inscrite sur le sable. Je me suis dit que ce n’était pas un rêve tout à fait ordinaire.
Photos - VD- Avril 2010

 Je suis devenue grain de sable rose sous le ciel tiède malgré le vent du nord. J’étais, je suis la vague dorée qui s’enroule autour de mes chevilles. Mes pieds nus s’enfoncent dans le sable humide à fleur d’eau dans le frais de l’océan ni bleu ni vert tournant vers le doré parfois. Je suis ce vent qui transporte des effluves de pins mêlées à l’odeur de voyage lointain. Je suis l’ourlet de coton blanc qui se dresse là où on ne l’attend pas !
J’ai cherché le meilleur angle en tentant de saisir pour toi des images nouvelles que tu trouverais à ton retour.
Je suis aussi fragile que le ciel au loin quand la marée monte doucement et encercle avec douceur le Banc d’Arguin que tu aimes tant. Je suis un peu perdue aussi, assise là, sans toi, au milieu de cet infini empli de beauté.           
Alors j’ai fini par rentrer avant la chaleur de la mi-journée. Mais toi au loin, je ne tiens pas en place.
Je suis repartie dans la direction opposée comme s’il fallait m’éloigner du silence de la maison. Cet endroit qui me rappelle tant tes mots, ton odeur et la puissance de mon amour pour toi. Je suis allée vers le port. Celui que les touristes n’ont pas encore foulé sous leurs pieds. Je me suis assise sur ce banc de bois usé par les vents d’hiver. Les vents de terre ceux que j’appelle souvent les vents contraires. J’ai regardé au loin sur le bassin, le dos appuyé sur le flanc de la cabane de bois noir. Je ne puis m’éloigner totalement de toi. J’ai besoin de ta présence. J’ai entendu tes mots et la chaude tonalité de ta voix. J’ai ressenti la douceur de ta peau quand elle évoque la couleur du sable caressée par la lumière au travers des persiennes. J’ai eu envie de ta bouche et de connaître encore l’écriture de tes doigts sur ma peau tiédie. Mais tu es loin et pour quelque temps sans doute. Il va falloir que je ressorte le plaid pour me couvrir. Les nuits sont encore fraiches.

Photos - VD - Avril 2010

Je suis allée voir Pedro. Il ne me connait pas. C’est avec lui que tu es allé pêcher la saison dernière.  Je ne lui ai pas dit qui j’étais. Je sais que tu préfères garder notre relation secrète. Est-ce pour la protéger des regards malveillants ? Pedro n’a pas l’air malveillant. Je t’aime et je n’ai pas vraiment besoin de parler de nous. Alors je me suis tu !
Il a pris un peu de ventre Pedro cet hiver et son teint est encore pâle. Mais il a fini sa cabane et elle a pris de belles teintes rouges. C’est beau ainsi au milieu de toutes les autres qui sont noires ou grises. J’ai eu envie de m’asseoir. Il a décoré sa terrasse de fûts de chêne et de cordages tressés. La lumière est belle aujourd’hui et se pose avec délicatesse sur les objets.
Je me suis assise à la table faites pour cinq, sous le pin parasol, espérant que le soleil resterait le temps de mon déjeuner.
Pedro était gentil. Il n’a pas souhaité que je me déplace. Pourtant des touristes avaient prévenu de leur arrivée prochaine. J’avais l’impression qu’il me connaissait un peu. A-t’il retrouvé quelque chose de toi dans mon regard ?  Les huitres étaient délicieuses. Je suis restée longtemps à rêver, regardant l’eau monter de nouveau et les pêcheurs rentrer doucement du bassin.
Il s'est excusé de ne pouvoir me proposer qu'un café à la crème de marron. Julia, sa femme, est allée en ville pour y trouver du café pur mais c'était à l'automne. Elle  n'est jamais revenue ! Il a dit ça avec  cette légèreté dans la voix  comme si  cette histoire n'était pas la sienne mais son regard était blême.
L’agitation des premiers arrivants m’a fait fuir brutalement. Je suis allée regarder les barques rentrer dans la passe. J’ai pris de nouveaux clichés. Cette fois je pensais à rentrer. J’ai salué de nouveau Pedro. Mais l’envie de retrouver la maison vide ne faisait pas tout à fait partie de mes humeurs.
J’avais besoin de cesser de m’inquiéter pour toi. J’ai fait un détour par la ferme de Liza. J’avais envie de galoper loin dans la forêt et je lui ai proposé de faire le tour avec moi.
Nos chevaux s’entendent bien. Ils étaient joueurs et rapides. Nous les avons poussés à la limite du possible entre la peur et le plaisir de se dépasser. Ils étaient contents et tout excités par les premières odeurs de printemps. Des lapins ou quelques serpents se faufilaient dans les buissons. Le mien a fait un ou deux écarts mais nous avons bien assurées. C’était doux de sentir le vent tiède et de voir les variations des couleurs et des odeurs au-delà de la terre sèche. Nous n’étions jamais allées aussi vite ni aussi loin. Les chevaux sont rentrés l’encolure couverte d’écume. Après avoir douché le mien et vérifié ses pieds en entretenant ses sabots, j’ai aidé Liza à attraper les autres restés au pré et à les nourrir.
Je suis enfin rentrée apaisée et heureuse de pouvoir écouter un peu de Sonny Rollins dans la solitude de la maison.
J’ai pris un livre avant de me glisser sous les draps de notre lit. J’ai dû rêver de toi et de ton retour.