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Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

mardi 6 janvier 2009

L'Eau



Les catastrophes engendrent parfois d’étranges comportements.
Cette année-là, le fleuve qui flirtait avec douceur avec le liseré du jardin de mes grand-parents décidait d’élargir son lit las de la sagesse de sa rive. Je leur rendis visite afin d’évaluer les risques encourus.

A mon arrivée, je découvris quelques hommes dans la cour en contrebas de la route. L’eau effleurait déjà la hauteur de leurs mollets protégés par des bottes de pêcheur. Ils déchargeaient avec entrain des palettes de bois le long des murs de la façade de la maison permettant ainsi d’accéder à la porte d’entrée sans risquer un bain de pieds à chaque trajet. Je sautai de planche en planche comme je le faisais aux jeux de marelle de mon enfance en espérant ne pas trébucher.

En passant le seuil, une délicieuse odeur de cuisine vînt me chatouiller les narines. Ma grand-mère attendait manifestement quelqu’un d’important pour le déjeuner.
Intriguée par ses projets je l’appelai depuis l’entrée. Elle m’apparut en haut de l’escalier dans une tenue pour le moins paradoxale étant donné les mouvements extérieurs. Elle était en effet vêtue d’un superbe tailleur bleu-ciel et chaussée d’une paire de bottes de caoutchouc. Son visage s’épanouit quand elle m’annonça l’arrivée éminente de son fils aîné. Elle ne le voyait qu’une fois par an.
J’avançai dans le salon afin de saluer mon grand-père. Tel un adolescent qui s‘apprêterait à s‘élancer au creux de la prochaine vague du haut du rochers de la falaise, il était sur la terrasse penché au bord de l’escalier de pierre qui donnait accès au jardin. Attitude fort risquée étant donné son grand âge.
Je m’approchai doucement de lui pour le découvrir un mètre à la main. L’eau, dit-il avec une éloquence que je ne lui connaissais guère, montait d’un centimètre toutes les demies-heure. Il n’en semblait pas affecté pour autant.
Ne voulant pas le brusquer, je lui demandai combien d’inondations il avait connues.
Il se redressa vivement et fit surgir avec fierté un minuscule carnet de sa poche de pantalon. Il se mit à me montrer avec attention la liste des multiples crues qu’il avait relevées depuis soixante ans. Pour chacune d’elles il avait scrupuleusement précisé la vitesse de la montée des eaux comme il le faisait à l’instant même.
Il me raconta comment une fois déjà il avait dû débarrasser le rez-de-chaussée les pieds dans l’eau s’étant laissé surprendre et avait perdu la moitié de sa bibliothèque.
Les livres étaient toutes sa vie. Il allait les choisir lui-même encore à son âge au cours de l’une de ses promenades pédestres quotidiennes. La libraire devenue une amie depuis longtemps, était enfouie dans une boutique de la taille d’une boite à chaussure. Son visage usé comme les rides laissées par la mer sur le sable quand elle se retire gardait un regard vif et chaleureux. Ils échangeaient souvent durant de longues heures.
Rangés dans son salon les livres tapissaient ensuite chacun des murs classés par auteur et par année. Il y en avait même de très anciens à la couverture sculptée d’ivoire. Chacun renfermant un secret : un article ou une page d’encre noire d’une petite écriture droite et serrée, la sienne.
Il y avait aussi les siens dont les manuscrits côtoyaient les exemplaires reliés, poésies et romans que je prenais plaisir à lire et relire et dont il m’avait offert un exemplaire dédicacé, dédicace toute particulière, à moi sa petite fille.

Malgré cela aujourd’hui encore il ne prenait aucune précaution pour se prémunir contre de nouveaux dégâts.

Sous nos yeux les branches du saule pleureur se reflétait dans l’eau qui léchait déjà son tronc avec allégresse. Les jarres prenaient un bain profond ne laissant plus apparaître que quelques pétales de fleurs. Deux canards s’approchaient des quelques marches encore à fleur d’eau. Ils semblaient vouloir se dégourdir les pattes sous nos yeux. Sidérée par l’attitude de mes grand-parents il m’était difficile de m’émerveiller face à la délicatesse du paysage qui s’offrait à moi.

Comprenant qu’ils seraient incapables de prendre une décision, je m’empressai de trouver des cartons et du journal. Fort heureusement, ma grand-mère était experte dans la collection de ce genre d’utilité. Je commençai par empiler la vaisselle de valeur sachant combien elle y était attachée même si j‘eus préféré commencer par les livres.
Les tapis et les fauteuils pourraient être montés plus tard. J’espérais l’arrivée de mon oncle pour les raisonner et m’aider à surélever les meubles.

Mon grand-père s’approcha de moi inquiet. Il me demanda pourquoi je vidais les placards quand l’eau n’avait pas encore atteint les parquets. Je lui précisai préférer faire cela les pieds au sec. Attendre encore signifiait une visite assurée de quelques rats le long de mes mollets ou pire de mes avant-bras. J’en avais aperçu quelques-uns en allant quérir les cartons dans le chai voisin.
Il ne semblait pas comprendre et continuait ses allers et retours vers la terrasse, le mètre toujours à la main.
Les informations annonçaient de plus en plus de routes coupées et prévoyaient une crue plus forte pour la nuit. A chacun de mes transport à l’étage, ma grand-mère hurlait. Il était ridicule selon elle de faire tout ce remue-ménage quand il faudrait tout redescendre. L’eau elle en était certaine n’atteindrait jamais sa maison.
Elle m’empêcha de rouler les tapis souhaitant toujours garder une pièce correcte pour l’arrivée de son fils.
Heureusement mon oncle fit enfin son apparition.
Il leur parla avec fermeté puis m’aida à déplacer les objets les plus volumineux. Nous eûmes encore le temps de relever les meubles par des parpaings.

Le soir, mes grand-parents acceptèrent tout de même de dormir à l’hôtel. L’eau ayant atteint un bon mètre à l’intérieur de leur demeure. Ils y restèrent plus d’une quinzaine de jours.
Mon grand-père venait chaque matin mesurer la hauteur de l’eau sur les façades. Il notait celle-ci dans son calepin et me téléphonait ensuite le résultat de son escapade.
Quelques semaines plus tard, il manifesta une étrange fatigue et dû suivre un traitement. Sa femme lui administrait avec empressement.
Quand ils purent intégrer de nouveau leurs murs, ils durent encore séjourner à l’étage le temps des travaux. Mon grand-père se mit à faire des chutes inexpliquées et à parler seul. Ma grand-mère préparait ses collations avec animosité lui reprochant sa déchéance. Arrivée un jour sans prévenir, je la vis le pousser pendant qu’il tentait de se vêtir.
Il devînt finalement gravement malade et dut-être hospitalisé.

Au sein du service où il était sa femme le nourrissait sans chaleur et supprimait parfois une partie de ses repas. Il n’en a pas besoin ou ne l’apprécie pas justifiait-elle.
A son chevet, elle envisageait déjà son enterrement sans amertume apparente. Elle espérait seulement ne pas devoir le veiller trop longtemps. Elle organisait sa vie sans lui et n’admettait pas de le voir revenir un jour dans sa demeure.

L’eau quitta enfin totalement le jardin. Mon grand-père, lui, ne réintégra jamais son domicile Mon oncle s’empressa de charger les objets de valeur dans le coffre de sa voiture afin d’en agrémenter son salon.
Plus tard, il n’assista pas à l’enterrement de son père.

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