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Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

jeudi 17 septembre 2009

Mon aimé.



Tu soulèves les poussières de l’oubli avec délicatesse. Hier encore il faisait tiède au dehors mais les saisons s’effeuillent plus vite que ta mémoire. Tu fais le trajet des voyages de ton père à la lecture des pages et des images qui glissent entre tes doigts.

Je m’approche de toi doucement et me penche avec tendresse vers tes épaules arrondies. Assis devant ces pages tu ressembles un peu à ces rochers lisses et tranquilles érodés par le passage des vents au cœur de l'océan. Mes doigts et la paume de ma main se faufilent entre ton cou et l’encolure de ton t-shirt. Je te caresse la nuque avant d’y laisser un baiser. Tu bouges à peine. Tu aimes que ce temps dure hésitant retenu encore un peu par la concentration de ta lecture. Tu n’aimes pas trop laisser ce que tu fais. Ton dos est malveillant mais tu veilles sur cette mémoire. Être encore avec lui prolonge ce temps douloureusement interrompu. Tu me caches encore un peu tes yeux. Tu n'aimes pas me montrer ta tristesse. Je la sens au milieu de tes mots, je la lis sur la courbe de ton dos.

Viens mon aimé. Prends ma main. Allons marcher. Ne laisse pas les saisons s’enfuir. J’aime la douceur de ta peau au creux des draps mais j’aime plus encore ta présence ton odeur et le bruit de tes pas. Ne laisse pas le temps nous meurtrir. Viens. Regarde au dehors, le ciel s’est éclairci. Allons écouter le vent. Je sais que ton corps est endolori mais marcher auprès de l’aimée peut être un bon remède. Je ne t’enlève pas à ces pages jaunies tu les reprendras à la tombée de la nuit. Viens, allons sentir les feuilles encore humides murmurer sous nos pas et regarder la chute des gouttes d’eau qui caressent les branches en glissant vers le sol. Je sais les vagues sont un peu loin mais tu me conteras les marées. Je te décrirai les coquillages que j’ai ramassés et nous regarderons les nuages s‘éloigner. Tu m’apprendras le nom de ces oiseaux dont je t’ai parlé. Laisse le goût de mes doigts parfumer la paume de ta main. Raconte-moi ces pages que tu lis. Parle-moi de lui et tu verras ainsi combien ce temps d'avant ne s'est jamais arrêté. Au retour ton dos sera plus doux. Nous boirons un thé chaud ou un café auprès du feu et mes lèvres seront sucrées.

lundi 14 septembre 2009

Proies ou Rapaces





Malgré moi surgit cette appréhension quand je dois aller dans un lieu où il y aura du monde, dans un lieu que je ne connais pas encore.

Un brouhaha ronronne sans cesse évoquant le bruit doux d’un moteur à l’arrêt dès les premiers pas glissés au sommet des quelques marches avant d’atteindre l’une des arches de pierre sertie de métal.
Les couleurs sont chatoyantes et vives. Les odeurs de sels et d’embruns dominent celles sucrées et parfois suaves des fleurs et des fruits aux abords de l’étale à poissons. Je me souviens du rose des rougets posés là alignés à deux doigts de la gueule ouverte du requin habillée de petites dents ressemblant à des épines de pins blanchis par la neige. Les araignées cachées dans leurs pattes velues sont encore mouvantes et je reste à distance heureuse d‘avoir le bout du nez à peine à hauteur de la glace pilée qui sert d‘oreiller à des algues brunes dont j‘aimerais pouvoir faire exploser les rondeurs entre le pouce et mon index. Je regarde furtivement le vendeur esquissant déjà mon geste mais il m’impressionne avec sa voix brûlante et son tablier gris-bleuté quand il interpelle les passants tentant de les faire s’arrêter. Les crabes montrent encore des yeux luisants sous leurs carapaces rougies par la cuissons.
Un homme vêtu sur la tête d’un étrange bonnet d’âne, couronne blanche qui ressemble à une brioche de sucre glace à l’envers s’approche de moi. Je crois un instant qu’il vient me gronder cernant mes intentions de sculpter les algues du bout des doigts. Je sursaute un peu prête à m’enfuir mais il me parle doucement puis me prend dans ses bras pour me poser, dressée, sur le grand tabouret derrière son comptoir. Enfin une belle hauteur ! On devrait proposer à tous les enfants de s’installer ainsi sur de grands tabourets afin qu’ils puissent profiter du paysage sans risquer de se faire cogner pousser écraser sous le poids des paniers et des sacs des grandes personnes.
Je perçois les regards et les sourires des clientes qui ont un mot à mon propos me prenant pour sa fille. J’ai trois ans pas très haute mais bien suffisamment grande pour savoir que mon père n‘a rien à voir avec cet homme là. Surtout avec cette couronne ! Il a bien jouer les corbeaux il y a peu accroupi sur la table de la cuisine pour me conter la fable avec le renard mais sûr qu’il n’a rien à voir avec celui là. L'homme au chapeau blanc les reprend d’ailleurs se défendant lui-même d’être mon père. Il explique encore et encore comment il m’a remarquée seule devant l’étale du poissonnier. Son étale se trouve juste de l’autre côté de l’allée. Et les regards de ces femmes changent me rappelant ainsi sans cesse que je ne devrais pas me trouver là.
Je me souviens m’être figée apeurée quand il est venue vers moi. Ce sont ces mots et ses questions qui m’ont fait prendre conscience que quelque chose n’allait pas. Les larmes rafraîchissent mes joues et l’odeur de farine monte vers mes narines en même temps que la nausée.
C’est-on délibérément débarrassé de moi ? Je l’ai longtemps cru.
Les grands bras de celle qui m’avait emmenée ce matin là m’ont enfin agrippée puis malmenée et poussée en hurlant jusqu’au siège arrière de la voiture. Les marchands avaient depuis longtemps rangé leurs cageots vides à l’arrière de leur camion et les touristes avaient déserté les lieux pour déguster leur déjeuner.


Heureusement le temps est passé et laisse glisser sur moi des douceurs et des mots tièdes et rassurants qui ont fait largement oublier les larmes de mes trois ans.

Ce soir, je descends les hautes marches de pierre pleine d’envie. La peau picote déjà quand mon cœur palpite un peu plus fort à l’idée de découvrir les images et les sons tant attendus même si c’est encore l’inconnu. Je sais à la différence de l’enfance que je ne serai pas déçue.
Le ciel est de mon côté il fait tiède encore et la nuit étoilée sera belle.
Soudain se dressent face à moi d’incroyables falaises de pierres blanches qui plongent leurs pieds dans une vaste étendue d’eau. Le site est imposant majestueux. Je ne le connaissais pas et j’aime tout ce que découvre mon regard. Les oiseaux s’interpellent d’une falaise à l’autre, d’un rocher à l’autre, d’un arbre à l’autre attendant d’être rejoints puis remplacés par la caresse douce ou plus vive des saxophones. Sur les flancs du mur de pierre rebondissent pour l’instant quelques rires d’enfants qui doivent jouer plus loin sur le coteau traversé avant d’arriver. Quelques tables sont encore disponibles au bord de l’eau. Je m’installe tranquillement sur un banc face à la falaise quand dans l’eau s’agitent tranquillement d’immenses poissons.

Assise sur ce banc je regarde et écoute ceux qui m’entourent. J’aime ce temps où en silence je découvre le monde en scène. Je suis tes pas et tes yeux et découvre ainsi après toi ce que secrètement tu as organisé depuis des mois.

Tu ne peux pas être là ce soir aussi j'ai préféré venir seule. J’aurais détesté devoir entrer dans des pour-parler qui ne me conviendraient pas. Cette soirée est pour moi. Je peux laisser aller mes sensations mes humeurs m’imprégner de chacun des reflets qui varient avec la lumière du soir. J’aime ce temps avant l’entrée en scène d’un spectacle. Les humeurs dans la salle sont faîtes d’excitation et de repli comme à l’intérieur d’une bibliothèque. Les sons passent du feutré à un souffle décalé qui fait que tout reste un instant suspendu.

Soudain le banc craque à mes côtés. Quelqu’un vient sans doute de s’asseoir. Je n’ai aucune envie de sortir de ma rêverie. Je regarde les gens descendre l’escalier je regarde la nuit s'étendre peu à peu. Le ciel change. J’écoute un peu les gens venus à plusieurs je lève les yeux sur l’autre rive cherchant à percevoir le mouvement des oiseaux dans la pierre et les arbres. J’attends sans attendre c’est à dire sans impatience les premiers souffles du saxophone. Je me demande d’où vont naître les première notes.

Je me tourne vers le rideau de scène. Ouvert, il flotte un peu dans la brise tiède.
C’est un voisin qui vient de prendre place.
« Vous avez l’heure ? » me dit-il satisfait, je le sens, de croiser mon regard. La phrase est tellement d’un autre monde, décalée en ces lieux. J’ai envie de rire. Je me souviens les désastreux plans drague aux carrefours à Paris quand j’étais plus jeune. A l’époque je tournais la tête ou parfois lasse je répondais sèchement « lève le nez dans Paris il y a une horloge à chaque coin de rue et sinon il suffit de te pencher à l’intérieur des voitures. » A l’époque les tableaux de bord possédaient une horloge et non des chiffres fluorescents comme aujourd’hui qui ne s’allument que quand le conducteur met le contact.
Mais je ne suis plus à l’âge où l’on riposte. Dans ma tête les mots fusent à grande vitesse : « Espèce de naze tu t’es trompé de chemin ici y’a pas de train. Qu’est ce que tu viens faire dans ce lieu c’est quoi tu cherches une proie ! Je suis là tranquille et seule donc t’es chasseur je suis une proie ? Une femme seule dans ton monde c’est forcément une proie ! La chasse c’est le mois prochain tu vois même qu’aujourd’hui, à l’heure où j’écris, je sais parce que j’ai lu les mots de mon aimé et que vraiment tu lui arrives pas à la cheville, même pas t’essayes, et que j’ai traversé la campagne ce week-end aussi je sais que c’est le 12 et 13 septembre alors pour les proies va falloir attendre. » Mais non je reste froide mais je lui donne l’heure et retourne dans mes pensées. Secrètement j’aimerais vraiment que tu puises être là, mon aimé ; Tu arriverais doucement dans mon dos, tu regarderais le type de ton regard noir parce que toi tu l’aurais flairé c’est sûr, t’aimes pas les chasseurs toi non plus alors tu m’aurais glissé un baiser tendre dans le coup histoire de le pousser très loin au delà de cet espace.
Mais le naze pige pas il relance il fait plein de bruit dans ce délicieux espace, il me lance « Vous venez souvent ici ? » Très très froide je le regarde du plus loin et du plus haut possible moi qui me sens très petite dans ce genre de plan ! J’ai envie de vomir quand je me sens trop petite. Bon sens j’ai besoin de toi mon aimé, là je suis plus très sûre de m'en sortir ce type insiste et ça va vraiment pas le faire ! Je pense à toi très fort je réponds très vite et très sèche : « La première fois avant hier ! » Je suis en pétard au dedans j’avais pas envie de ce genre de plan pas du tout, surtout pas maintenant, même pas envie de rire de ce genre de bêtise. J’ai envie d’être tranquille et je pense " T’as rien compris t’as rien à faire là et tu vas me laisser maintenant parce que je suis pas sûre de savoir être calme très longtemps. Toi ça a pas l’air mais moi je suis venue invitée à partager la poésie de cet espace et me mettre de la musique et des images plein la tête et les chasseurs ça peut pas faire partie de ce monde là."

Je me suis de nouveau réfugiée tout près de toi mon amour, tu glissais tes doigts dans mon cou et la lune s’est un peu posée sans doute parce que je n’ai plus vu que des reflets et des images et les sons des saxos se sont levés et quand j’ai baissé les yeux sur les vagues et les pierres sur l’autre rive je n’avais plus de voisin chasseur et le monde était doux et la nuit était bleue.