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Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

mardi 6 janvier 2009

Tenir




Tu t’étais attaché à Déian dès son apparition au camp. Il était maigre et portait toujours les vêtements que vous lui aviez donnés à votre arrivée. Vous en aviez distribué à tous les civils. Son pantalon écossais trop grand pour lui était retenu par une ceinture de corde.
Enfant, il représentait l’avenir de ta mission et son regard t’interrogeait sans cesse.
Il avait perdu chacun des membres de sa famille au cours du dernier hiver. Il ne lui restait que son père mais il ne le voyait guère que s’il allait errer le long des lignes de tir.
A sa manière, lui aussi participait à cette guerre. Il courait à travers la ville afin de repérer les embuscades ennemies et rapportait aux siens les informations qu’il avait pu glaner.

Tu étais là-bas pour tenter, en vain me semblait-il, d’interrompre les feux de ce combat absurde que personne ne réussissait ni à comprendre ni à arrêter.

Déian venait à ton campement pour se divertir mais aussi pour s’informer. Tu étais son espoir. Il te suivait partout de près ou de loin, selon tes activités. Il savait quand il risquait de te gêner, il le savait intuitivement.
Le dimanche était ta seule journée de repos. Il s’adossait alors à la porte de ta chambre attendant que tu t’éveilles. Quand tu commençais à bouger, il frappait.
Il te racontait son histoire et te chantait des airs qu’il avait appris quand son école tenait encore debout. Un jour, alors qu’il jouait dans la campagne alentour il avait vu son frère sauter sur une mine.
Quelques semaines plus tard, ce fût le tour de sa mère : Elle allait puiser l’eau à la seule pompe utilisable et fut atteinte par l’explosion de l’hôpital.

Puis il y eut ce matin là où tu ne l’attendais pas. Du bout du sentier, il hurlait ton nom encore maladroitement. Tu le vis courir poursuivi par un soldat de la milice.
A la grille il s’écroula.
Quand tu le pris dans tes bras il te murmura « continue » et s’endormit pour toujours.

Tu n’avais pas pu le protéger.
Continuer quoi ? Tu n’avais pas le droit d’intervenir.

Tu te mis à déambuler dans les rues, au travers des ruines à l’heure du couvre-feu te demandant encore le but de ta présence en ce lieu.
La profondeur du silence était angoissante. Tu savais que derrière chaque pilier, derrière chaque ouverture béante pouvait se cacher un traquenard.
Soudain, à deux pas, la terre se mit à craquer.
Surgissant de nulle-part un homme avançait vers toi à petit pas. Il lisait un journal ce qui te sembla insolite dans ce pays où l’information était plus lente que les bombes.
Espérait-il encore y lire un avenir ? Son avenir.
Arrivé à ta hauteur, il s’arrêta.
Méfiant tu fis un écart. Il brandit un revolver à la crosse poussiéreuse. Tu pensais vivre ta dernière heure. Que pouvais-tu faire ? L’observer, afin de mieux mesurer le temps qu’il te restait ?
Il leva le bras. Tu tremblais.
Le regard profondément vide il pressa l’arme contre sa tempe et tira.
Il s’affaissa le journal toujours dans sa main droite.
Tu fus contraint de relever son identité. Il n’était pour toi qu’un inconnu. Qui d’autre saurait ? Qui pourrait le pleurer ? Tant de monde avait fui, tant d’autres étaient déjà morts. Celui là encore était mort seul, en son pays.
Pourquoi t’avait-il choisi comme témoin de son dernier acte ?

N’étais-tu pas venu chez lui pour le libérer ?
Tu rentras au camp vomir ton impuissance.

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