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Sud - Ouest, France
Des mots-Des Images en tout sens

dimanche 5 avril 2009

Une Couronne de Roses Rouges

Elle était belle disait-on d’elle.
Je l’ai connue trop peu. Dans mon souvenir elle était douce et se fichait des conventions et des mondanités de cette petite ville dans laquelle elle avait fini par élire son domicile.
Son histoire nous était contée de multiples façons comme si elle s‘était promenée dans La dame de Shangaï ( Orson Welles - Film - 1948 ) au milieu de ce couloir de miroirs et que chacun avait choisi un de ses reflets pour lui-même et la définissait comme tel.
Les autres parlent trop souvent de vous comme ils veulent vous voir et pas toujours tel que vous êtes dans vos limbes les plus secrètes. Ils vous réduisent le plus fréquemment à une image, une seule. Celle-ci sera-t’elle la lecture d’un évènement de votre vie ou bien liée à la leur et vous êtes aussitôt rangés dans un tiroir qu’ils ferment à clé pour toujours, jetant la clé dans le fleuve qui les guide afin de ne plus y revenir. Figé ainsi vous risquez de l’être à jamais !
Si la vie dépose sur votre chemin un être qui vous regarde et vous écoute pour ce que vous êtes et que sa seule présence vous amène à vous ouvrir et à lui dévoiler la part la plus secrète et la plus belle de vous-même, sachez sentir combien vous en avez besoin et admirez le monde à travers son regard. Tout est alors plus beau. Vous avez trouvé l’être auprès de qui vous pouvez déposer toute votre confiance jusqu’au bout de la terre, au delà de vos jours en souhaitant qu’ils soient encore infiniment nombreux. Protégez bien cette part de vous-même. Sans elle, rien n'a plus la même saveur.
Mais restons auprès d’elle encore un peu. Elle avait quelque chose d’indéfinissable que d’autres membres de ma famille ne connaissaient pas et qui m’attirait toujours vers elle. Elle ne cherchait pas à paraître pour le monde extérieur même si elle avait été souvent remarquée et pas seulement pour sa beauté. Elle avait été Résistante au cours de la dernière guerre. Son mari aussi et bien d’autres avec eux. On parlait d’elle dans un énorme livre à ce propos ( en réalité deux énormes livres puisqu’il y avait deux tomes ). Mon père me l’avait donné à lire alors que j’étais à peine entrée dans ce qu’il appelait l’âge de raison. Le livre avait un nom magique dans mon esprit d’enfant « Les terroristes ». Était-ce dû à la religiosité, la fierté avec laquelle mon père me l’avait confié ? Le mettre ainsi entre mes mains, je le sentais, c’était me permettre de faire partie enfin de la liste des grandes ce qui signifiait regain de confiance, chose assez rare dans l’esprit de mon père et des adultes qui m’entouraient ! Malheureusement l’exemplaire n’est plus en ma possession, aléa des différents partages familiaux. A t’il seulement été rangé avec respect sur l‘étagère d‘un salon, j’ai bien peur que non !
J’ai vu cette femme longue et fine pleurer lors d’une cérémonie animée en son honneur et celui de son mari qui était décédé avant ma naissance, pour ce qu'ils avaient accompli. Je l’ai vue assise toute petite, elle si haute au regard de mes jambes d’enfant, repliée sur elle-même et pleurer en silence sur les marches de pierre au bord du tombeau. Et je n’ai pas compris.
Dans mon esprit de petite fille je sentais bien que tous ces drapeaux et ces médailles accrochées à la veste de tous ces hommes montraient leur respect à son égard, d’autant plus qu’elle était la seule femme au milieu d’eux. J’imaginais qu’elle aurait dû être grande et droite. Moi je savais combien j’étais fière des bon-points qui m’étaient attribués par ma maîtresse d’alors dans ma petite école au beau figuier dans la cour immense. Alors je ne comprenais pas comment cette grande dame que j’aimais tant pouvait verser des larmes. De plus, c’était la première fois que je voyais un adulte pleurer. Je n’ai pas compris qu’elle pleure cet homme à qui on l’avait mariée contre son gré m’avait-on dit et dont elle avait choisi de se séparer quelques années après la guerre.
Elle vivait seule et en ces temps là c’était chose rare et mal venu. Elle s’était tout d’abord installée dans une des extrémités de la maison familiale - séparée de corps - disait-on alors, puis avait préféré s’isoler dans la petite ville où je la retrouvais accompagnée de ma sœur.
Je me souviens combien elle aimait les roses et s’occupait de celles-ci chaque jour. Les roses grimpaient le long d’une allée de piliers de pierres blanches qui se rejoignaient au dessus de votre tête et laissaient exhaler un parfum sucré autour de leurs pétales colorés telles de multiples ailes de papillons prêts à s’envoler vers les nuages.
Travailler la terre enlever les fleurs et les pétales fanés du bout des doigts lui permettait peut-être à elle aussi de faire taire les pensées qui s’animent en boucle parfois dans la tête avec cette petite voix qui fait des nœuds si fort qu’ils tirent le creux du ventre jusqu’à vomir. Elle mangeait peu, deux, trois petits pois disait mon père avec le cynisme dont il savait parfois faire preuve.
Quand le seul être dont j'ai besoin ne peut-être plus près et que tout semble au bord de s'effondrer je cours chercher des fleurs à planter afin de faire taire la petite voix qui fait tant de noeuds que les mots ne trouvent plus leur place. Est-ce le retour aux origines familiales mes ancêtres regardaient le ciel et semaient, plantaient sur des pans de cette terre qui un jour nous rappelle.
Dans un autre côté de ce délicieux jardin se trouvaient deux bassins qui se répondaient sous la terre et abritaient nénuphars et têtards que j’adorais suivre depuis le bord découvrant alors d‘énormes poissons rouges ou noirs.
Je me souviens aussi de cette voiture noire toujours luisante et sans trace garée devant sa maison donnant sur le parc de la ville. C’était une traction qui semblait directement sortie des films de Martin Scorsese ou Francis Ford Coppola que je découvrirai plus tard. Elle changea un jour la traction pour une 2 CV rouge afin de pouvoir mieux circuler au bord de l’océan où elle nous fit découvrir de petites criques qui me semblaient connues d’elle seule.

Son regard était lointain toujours, comme si elle s’accrochait à quelques nuages à l’image de ses roses, comme partie ailleurs, là où elle avait enfoui des milliers de secrets.
Elle s’était cassé l’auriculaire et vivait donc ce petit doigt en l’air, mais ce n’était pas par coquetterie mondaine. Sa coquetterie à elle était de l‘avoir serti d’un semainier, sept anneaux d’or attachés ensemble. Elle s’était cassé ce petit doigt au cours d’une chute de cheval. Elle avait été une grande cavalière disait-on d’elle et faisait de grandes ballades jusqu’au village et à travers champs quand elle était plus jeune et que je n’étais pas encore née. Elle avait voulu m’offrir un poney mais mes parents refusèrent sous prétexte que je ne saurais pas prendre soin de lui. J'ai pensé un peu à elle en choisissant moi-même mon propre cheval il y a quelques mois. Il m’est difficile d’imaginer monter aussi bien qu’elle, même si j’ai sans doute quelques aptitudes peut-être trop tardives. Quand l’un et l’autre marchons au même pas, la danse est légère.
Elle avait au premier étage de sa maison qui devenait ma chambre quand je dormais chez elle de belles poupées de porcelaine auxquelles je racontais mes propres secrets et avec lesquelles je m’inventais ma vie de demain.

Je me souviens de cette coupelle de biscuits qu’elle remplissait avant mon arrivée et dans laquelle j’avais l’autorisation de plonger ma petite main autant que je le souhaitais. C’est ainsi qu’auprès d’elle je n’en ai jamais abusé, sa tendresse et ses attentions me comblaient de bien meilleure façon.

Elle est tombée gravement malade ne faisant pas suffisamment attention à ces petites douleurs qu’elle avait parfois du mal à cacher le dernier été où elle avait pu me garder. Elle avait préféré m’emmener une fois encore lire le secret des vagues au bord de l’océan à l’heure où les autres faisaient la sieste où dévoraient d’énormes parts de gâteaux. Et puis elle n’a plus pu se déplacer et elle s’est endormie telle la belle au bois dormant alors que je ne lui avais sans doute pas assez dit combien elle comptait.
J’ai pu seulement lui déposer un dernier baiser. Ce jour là je me suis dirigée ver la roseraie pensant lui parler un peu. Je croyais m’y trouver seule c’est alors que j’ai aperçu mon père qui pleurait. Assis sur le banc de pierre aux pieds des roses il leva vers moi un visage triste et doux puis détourna son regard au delà du mur du jardin je n’ai pas su comment m’approcher.

Je n’ai pas eu droit de l’accompagner au bord du tombeau, trop jeune m’a t’on dit. A leur retour, j’entendais les adultes faire des commentaires sur la cérémonie. Certains parlaient fort comme en colère, d’autres paraissaient étonnés. Prêtant davantage l’oreille à leurs conversations, j’appris que ma grand-mère si douce avec moi avait été aimée au delà de ses jours. Cela choquait sans doute davantage celles qui n’avaient pas connu un amour aussi grand et lui enviaient sa beauté et les honneurs qu’elle avait reçus. On a dit alors d’elle des choses qui l’auraient sans doute blessée un peu mais l’aurait fait sourire aussi. On a dit de jolies choses aussi qui ont fait grandir son mystère à mon oreille d’enfant. Je me souvins que quand elle me gardait elle écrivait beaucoup et recevait des lettres plus épaisses qu’elle préférait lire plus tard dans la soirée quand je serai couchée. Je le comprenais parce qu’elle les mettait alors de côté au bord de son secrétaire et le lendemain elles ne s’y trouvaient plus.
Il avait eu envie de crier au monde combien il l’aimait au delà de son dernier jour au delà du bout de la terre et avait fait envoyer une énorme couronne de roses rouges à la cérémonie funèbre. Elles avaient la couleurs de son désir. Le mien a le goût du sel à la crête des vagues. J'aime les roses blanches pour les embruns et orangées pour les levers du soleil qu'elles évoquent. Elles furent remarquées. Les témoins étaient choqués par l’audace de la couleur pour un enterrement. J’aurais bien aimé connaître cet homme qui connaissait si bien ma grand-mère. Je ne comprenais pas très bien pourquoi il ne vivait pas avec elle. Moi j'aimais tellement ma grand-mère que j'aurais voulu rester chez elle tous les jours. Pourtant, il l’avait tant aimée qu’il lui envoyait ce jour là encore ses roses préférées. Était-ce elle qui avait voulu garder leur relation secrète ? Était-ce lui ? par peur des représailles sociales. Avait-il pu l’embrasser lui aussi avant qu’elle ne s’endorme pour toujours ou était-il malade et dans l’incapacité de la retrouver ? Je pensais combien il devait être triste maintenant. Les connaissait-il ces témoins et était-ce pour cela qu’il avait préféré ne pas venir gardant pour lui pour toujours ce qu’ils avaient partagé ? Tous se demandaient qui il était et se sont longtemps encore interrogés. Mon père l’a-t’il découvert en rangeant ses affaires, il a gardé le secret.

C’est beau d’être aimé ainsi au delà de ses jours. Ma grand-mère m’a ainsi appris que c’était possible.
Les roses trémières le long du mur de sa maison ont continué de fleurir chaque été. J’ai souvent marcher tranquillement dans cette petite rue en sortant du collège puis du lycée avant de retrouver mes parents de l’autre côté de la ville. Je n’en ai rien dit.
Depuis ce temps là, j’ai déménagé de nombreuses fois, cela pourrait m’arriver encore, ce qui ne m'a pas empêchée de regarder en arrière. J’ai pu ainsi conserver en secret le plus doux et laisser enfin sans regret derrière moi certaines des mésaventures de mes années passées. Des roses trémières courront longtemps le long du mur de mon propre jardin.

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