Certains ouvrent
des tiroirs afin de trier, de jeter et de ranger aussi. D'autres préfèrent les
laisser fermés à jamais afin de laisser des pans de leur vie dans l’oubli. Ils
espèrent ainsi, effacer une part de leurs douleurs accompagnées parfois de
milliers de rancœurs.
Enfin, il en est
quelques-uns qui cherchent au creux des lattes de bois des images bien enfouies,
souvent cachées par d’autres, sous les courbes et au-delà des paysages restés
longtemps inaccessibles.
Elle a pris tout l’espace. Toujours regrettée, elle
s’est fait désirer. Elle surgit du silence et jamais ne s’inquiète. Elle sera
l’idéale à jamais égalée.
Elle se cherche
parfois dans le brillant des miroirs mais jamais elle ne se reconnait. On lui a
dit que de grand yeux peuplaient son regard bleu et que ravissante elle était.
Dans les
profondeurs du reflet devant elle, toujours elle y rencontre des yeux verts. Alors
elle la recherche, alors elle se cherche dans un regard qui serait bleu au-delà
du miroir. Toujours seule elle est et jamais elle ne se reconnait. Elle se
trouve jolie, parfois, mais toujours avec des yeux verts et, belle, si elle
l’est, c’est sans doute au grès des vents, au grès de vos humeurs, mais rarement
pour elle. Elle, ne sait plus qui elle est dans ce miroir sans mémoire, dans ces
miroirs sans images. Ses yeux ne seront jamais bleus.
Qui est-elle ?
Qui est l’autre ? Qui est-elle sans l’autre ?
Cet impossible
est éternel. Toujours il la rattrape. Elle voudrait crier, elle pourrait casser.
Elle souhaiterait questionner encore comme chaque jour passé. En parler, elle
ne le peut pas. Elle ne le peut plus. Hurler encore, dans son monde intérieur,
elle le peut mais plus personne ne peut lui raconter.
De toute façon
ils mentiraient, de nouveau comme alors.
Pourquoi
chercher ?
Elle voudrait des
silences sans question. Des absences sans douleur. Elle souhaiterait se
reconnaître enfin. Ne plus s’interroger sans cesse sur ce temps d’alors tellement
éphémère.
Quand la page semble
enfin tournée, elle s’éveille dans la nuit. La lune éclaire les visages qui se
cherchent. Quand apparaît le vide, le vide est encore gouffre et la mémoire sans
trace est douleur sans mémoire.
Elle connait des
larmes qui surgissent d’un manque sans images. La douleur est là, toujours. Elle
bruisse, elle sourd. Elle occupe tout l’espace.
Elle, cette image de l’autre est parfois recherchée
en chacun des regards rencontrés. Intense, peut-être le manque. Immense
peut-être l’absence.
Mais Elle, n’est jamais là. Présence impossible. Qui
est-elle ? Forme inaccessible et sans visage. Celle dont tous ont décrit
des sensations, des images et des reconnaissances. Tous l’ont vue et se souviennent.
Sauf elle.
Elle la voudrait
dans ses souvenirs espérant une esquisse qui rendrait les choses plus douces
mais aujourd’hui demeure sans elle et est fait de cet impossible.
L’inaccessible.
Le manque est
pourtant là qui fait parfois l’oubli d’être soi.
L’autre est
l’absente, toujours.
Sa vie à elle est
l’enfer d’être et de n’être que décevante en l’absence de l’autre, en l’absence
d’Elle.
Depuis l’enfance
et trop longtemps encore elle n’a pu être elle, pour elle-même. Elle s’est
toujours lue dans leur regard comme étant elle-sans l’autre.
L’autre, Elle, a manquée et manque parfois encore dans
chacun des moments de son existence. Ce manque ne sait-être apaisé. Jamais
remplacée. L’autre est ailleurs et le vide est fait de douleur de cris
intérieur et de silence.
L’éclatement de
soi est un débordement. Comment aimer sans l’autre avec cette quête sans cesse
inachevée.
Le vide ne
peut-être qu’une éternité impossible. Elle ne reviendra pas.
Abandonnée depuis
si longtemps. L’a-t-elle connue si elle est sans images ?
L’a-t-elle
connue si elle reste sans mémoire ?
Ils le disent.
Ils l’affirment. Telle une meilleure amie, toujours complice, Elle,
restera en elle mais vécue sans mémoire.
Auprès de toi
mon aimé, l’équilibre est enfin complet. Jamais dans ton regard je ne retrouve
ce manque de l’autre. Je ne lis dans tes yeux que désir et plénitude.
Mais quand tes absences se prolongent, quand le manque de
toi se dessine, mes peurs anciennes surgissent de nouveau et le vide sans
images s’impose. Le manque de l’autre, Elle, ma sœur, ma jumelle et mon incomplétude sont là et se répètent à
l’infini.
Le manque de toi et le manque d’Elle, soudain en moi se
confondent. Les cris intérieurs se déchirent et se dispersent en
profondeur : souvenir de leur regard d’alors. Tout se vit comme si son
absence me rendait de nouveau insatisfaisante, inexistante.
Malgré moi, l’idée de sa présence me permettrait de lire
enfin dans le regard des autres toute cette satisfaction qui aujourd’hui reste impossible.
La déception ancienne surgit de n’être que moi sans elle sinon comment s’expliquerait
l’absence prolongée de l’aimé ? Comment s’expliquerait leur regard
toujours déçu quand il se pose sur moi.
Comment tourneraient
les jours si j’avais été l’absente pendant qu’Elle partageait chacun des matins
du monde ?
Les images sont
là, perdues entre ciel et terre, entre vague et ressac derrière la brume aussi
où les vagues hésitantes chevauchent des bancs de sable avant de retrouver la
bordure des dunes pour s’échapper de nouveau au loin sans accès sur l’infini.
Cette nuit là auprès
de toi, dans ce bout du monde, j’ai pu sentir sous mes pas l’éclatement des
algues. Les embruns piquaient mon visage et mes yeux toujours verts. J’ai
reconnu la glaise sous mes doigts, le sel dans mes cils et à la lisière de tes
cheveux. Sur ta peau j’ai retrouvé le goût du miel. Et la lune était pleine.
Décembre 2013